« Mes amis, au secours… » Il y a soixante ans, le 1er février 1954, le célèbre appel à l’aide de l’Abbé Pierre résonnait durant la nuit sur l’antenne de Radio-Luxembourg.
« La volonté de rendre impossible que cela dure »
En 1954, un « hiver russe » meurtrit l’Europe, sans épargner la France qui connaîtra deux grandes vagues de baisse massive des températures, du 1er au 9 janvier, puis encore plus intense du 22 janvier au 9 février. Cette situation désastreuse pour les sans-logis amènera le prêtre catholique Henri Grouès, dit l’Abbé Pierre, à appeler au secours les Parisiens.
Citant le cas d’une femme morte de froid en serrant contre elle son avis d’expulsion, il annonce l’ouverture de lieux où accueillir les personnes à la rue et fait appel à la générosité des auditeurs. Le ton à la fois chrétien et humaniste de son message résonnera avec force et provoquera un élan de solidarité remarquable. En voici le texte complet :
« Mes amis, au secours…
Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !
Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre Centre fraternel de dépannage, ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime ».
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure.
Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci !
Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain :
5000 couvertures,
300 grandes tentes américaines,
200 poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l’hôtel Rochester3, 92, rue La Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci ! »
Cet appel fera de l’Abbé Pierre un acteur social très prisé des médias et extrèmement populaire au sein de la population, une visibilité qui mettra également en valeur Emmaüs, fondé en 1949, modèle de mouvement solidaire dont la forme est totalement unique dans le monde. Membre de ce mouvement, la Fondation Abbé Pierre sera, elle, créée en 1990.
À l’occasion de ce soixantième anniversaire de l’appel, Emmaüs organise le samedi 1er février à 11 heures des mobilisations pour les « sans voie », en investissant les places publiques de nombreuses villes de France. Si Lyon et Chambéry sont concernées, la place Félix Poulat de Grenoble restera pour sa part étrangement déserte.