Le désamour entre les Français et les politiques ne fait que s’amplifier. Après le scrutin des européennes en 2009 et celui des régionales en 2010, le taux élevé de l’abstention est une nouvelle fois le principal enseignement de ces élections. Alors que 21 millions d’électeurs étaient concernés par ces cantonales, moins de la moitié d’entre eux se sont déplacés dimanche pour aller voter. Avec un score de 55%, le parti de l’abstention est donc le vainqueur de ce scrutin. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce manque d’intérêt pour ces élections. Leur manque de lisibilité et le fait qu’elles ne soient pas couplées cette fois-ci avec des municipales étaient des facteurs prévisibles. L’actualité internationale chargée – avec le tsunami japonais et la guerre en Libye – a un peu plus noyé l’attention des médias sur ce sujet. Enfin, après l’euphorie de 2007, la désaffection des Français envers la classe politique est une tendance qui se confirme à chaque élection. Ce sont donc à la fois des raisons structurelles mais également conjoncturelles.
Ceci étant, bien qu’il soit dans ces conditions difficile de tirer des conclusions à grande échelle sur la dernière consultation avant les présidentielles de 2012, il n’en reste pas moins que ces cantonales sont une réelle indication de l’opinion du corps électoral de ce pays, bien plus révélateur en tout cas que des sondages réalisés sur un millier de personnes. Outre l’abstention, le premier enseignement est la faillite de l’UMP. Certes, ce type d’élections n’est en général jamais trop flatteur pour le parti au pouvoir, mais avec un score de 17% seulement au niveau national, c’est une véritable gifle que vient de recevoir Nicolas Sarkozy et l’ensemble de son gouvernement. La surenchère sécuritaire n’a donc convaincu personne et ce ne sont pas les manipulations grossières du ministre de l’Intérieur Claude Guéant lors de l’annonce des résultats qui vont redorer le blason du parti de la majorité. Et c’est le Front National qui a le mieux tiré les marrons du feu à droite, en obtenant un peu plus de 15% des suffrages exprimés. La montée en puissance de Marine Le Pen se confirme donc et la formation frontiste peut se targuer d’être présente au second tour dans 394 cantons (sur les 1200 encore à pourvoir), dont 240 environ face à un candidat de gauche. Il faut dire que l’abstention profite souvent au FN, avec un électorat qui se mobilise à chaque élection. Néanmoins, la récolte de conseillers généraux devrait s’avérer minime au final.
Avec 25% des voix, le Parti Socialiste est le vainqueur de ce scrutin, mais ce n’est pas non plus un triomphe. Il devrait cependant garder la quasi-totalité de ses départements. Un bilan correct, mais sans plus. Les écologistes ont eux semble-t-il profité à fond de l’effet « nuage de Fukushima » et de la peur du nucléaire pour atteindre les 8%. Le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon rassemble 9% des suffrages exprimés, un score qui lui permet de se positionner comme le deuxième parti à gauche. Le PS se retrouve par conséquent dans l’obligation de composer avec ses alliés, toute volonté hégémonique se heurtant désormais à une réalité mathématique. Lors du premier tour de ces cantonales, la gauche dans son ensemble (PS, Front de gauche, Europe-Ecologie, divers gauche) totalise donc 47% des voix, la droite (UMP, divers droite) 32% et le FN 15% . Une poignée de départements seulement seraient par ailleurs en mesure de basculer d’un côté ou de l’autre : le rapport de forces ne devrait guère évoluer au sortir de ces cantonales.
En Isère, la tendance est amplifiée par rapport à ce que l’on peut constater au niveau national. L’abstention est plus forte, six électeurs sur dix ne se sont pas déplacés pour aller voter. Le PS est arrivé en tête et le FN est la deuxième force politique iséroise. L’UMP est laminée. André Vallini, le président sortant du conseil général a été réélu dans son canton de Tullins. Il n’y aura aucun candidat UMP au second tour dimanche prochain dans les cantons de l’agglomération grenobloise. Comme un symbole, le canton d’Heyrieux, détenu par l’UMP Bernard Saugey depuis près de quarante ans, verra s’affronter dans six jours un candidat PS face à un candidat FN. A noter que si Jean-François Copé, le secrétaire national de l’UMP, n’appelle pas à voter contre le Front National dans ce genre de confrontations, ce n’est pas le cas ici. D’ailleurs, cette consigne du « ni PS ni FN » fait grincer quelques dents à droite et ne convainc pas tout le monde. C’est un jeu dangereux auquel se livre le parti de la majorité et qui annonce en filigrane un avenir peu reluisant à court et moyen terme : à savoir la possibilité d’alliances entre le FN et l’UMP… Ces cantonales auront au moins servi à ça : le parti de Marine Le Pen n’est plus tabou chez une certaine droite.