Lors d’une allocution télévisée pour répondre aux préoccupations des Français, le Président de la République a émis le souhait d’instaurer des jurys populaires au sein des tribunaux correctionnels. Entretien avec Me Michèle Girot-Marc, avocate spécialisée en droit pénal et Cédric Ribeyre professeur, entre autres fonctions, à la faculté de droit de Grenoble, pour faire le point.
Quel a été votre premier sentiment à l’évocation de cette annonce ?
M.G-M. : C’est une absence globale de vision et de visibilité de la justice pénale en France actuellement. Une législation démagogique basée sur l’émotion. Le Président de la République a déclenché une guerre ouverte contre les magistrats. Je suis farouchement opposée à cette mise en place de jurys populaires.
C.R. : La surprise d’abord car une telle réforme ne paraît pas urgente et, dans un contexte budgétaire tendu, elle peut coûter cher et s’avérer difficile à mettre en oeuvre. Un sentiment aussi de lassitude devant ce qui laisse penser à une certaine méfiance envers les magistrats. En revanche, il faut reconnaître que le principe d’associer davantage les citoyens à la justice semble tout à fait pertinent.
Remettez-vous en cause le rôle des jurys populaires au sein des cours d’assises ?
M.G-M. : Spontanément, je ne suis pas fan du fait que ça ne va pas aider à rendre une décision plus juste. Par contre, ça peut sensibiliser une frange de la population sur le système judiciaire. Ce qui est paradoxal, c’est qu’il y a eu un effet d’annonce l’année dernière concernant la suppression des jurés populaires en cour d’assises et pas de suite.
C.R. : Pas du tout. On dénonce parfois l’aléa des verdicts et le caractère influençable des jurés, mais il ne faut pas oublier que la justice est rendue au nom du peuple et que les décisions des magistrats professionnels sont parfois tout aussi aléatoires. La suppression des jurés populaires en cour d’assises serait une erreur.
On nous dit que la justice manque de moyens, d’impartialité, les jurys populaires permettraient-ils de répondre à ces attentes ?
M.G-M. : Un juré de cour d’assises coûte à la base 76,88 € par jour sans compter d’autres frais. Il y a des juges de proximité qui ne sont pas payés depuis 3 voire 6 mois. Je ne prends pas les jurés pour des imbéciles, loin s’en faut, mais je trouve scandaleux que les magistrats soient considérés de la sorte et qu’on les pense laxistes au regard de leurs décisions.
C.R. : Non, il faudra payer des indemnités, des frais et mettre en place l’organisation de ces jurys (tirage au sort, convocation…) ce qui risque de coûter cher. Et les juges professionnels ne sont pas forcément plus cléments que des citoyens, tout dépend du dossier et de l’infraction.
Pensez-vous que cette réforme verra le jour avant la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?
M.G-M. : Décréter une législation après un fait divers, ce n’est pas une justice sereine. En pratique, c’est absolument impossible. Cela concernerait les infractions les plus graves. Comment qualifier le fait grave, sachant que le correctionnel peut traiter un homicide involontaire, un délit d’initié, une escroquerie, un incident… Si ça se fait, le Président va mettre le feu dans la justice pénale.
C.R. : J’en doute, même si le garde des Sceaux a indiqué que tout serait prêt en 2012, en tout cas la réforme peut être votée sans être effective, ce ne serait pas la première fois en procédure pénale qu’une loi votée verrait son application repoussée jusqu’à une éventuelle abrogation…