Dans toute société et dans toute histoire, il y a des conflits, des enjeux de pouvoir. Le problème, pour les intellectuels, fût de réfléchir à ces questions : quelles sont les raisons des rapports de pouvoir, comment y échapper, quels nouveaux droits faut il envisager, etc. La position de ces problèmes est relativement récente dans notre culture, et si l’histoire des idées permet de repérer l’amorce de ces questions plus ou moins lointainement, c’est seulement au 19ème siècle que la problématique a connu son plein essor.
Pour les philosophes, les sociologues ou encore les politicologues aujourd’hui, le problème est de comprendre de manière renouvellée les schémas explicatifs classiques. Et c’est ce que propose l’ouvrage qui vient de paraître, « Résister au quotidien ? », aux Presses de Sciences-Po.
Auparavant, on cherchait une théorie qui puisse expliquer certains phénomènes de rapports de pouvoir. Mais justement, comme on le découvre dans cet ouvrage, on était beaucoup trop dans le théorique. Les travaux de Karl Marx par exemple, sont très critiqués, plus quand à la méthode, d’ailleurs, que dans le contenu. Parce que Marx disposait d’une théorie des rapports de forces économiques, et qu’il proposait de tout comprendre et de tout soumettre à cette théorie. Mais ce faisant, remarquent notament les auteurs de l’ouvrage dont nous parlons ici, il éludait ou passait à coté de phénomènes de pouvoir non réductible au travail seul. Des phénomènes différents et non théorisés par Marx : par exemple le colonialisme, la minorisation des femmes, ou encore, – l’exemple est d’actualité -, le droit des homosexuels. C’est à dire que le système économique n’explique pas tout.
Du coup, l’ambition des spécialistes de ces questions est maintenant de se méfier des théories en vertu des limites dont on vient de parler. Ils envisagent une approche « pragmatique », c’est à dire une observation au cas par cas de tous les phénomènes de pouvoir ou de stigmatisation etc., comme par exemple, donc, la reconnaissance de toutes les sexualités, la lutte pour le droit des exclus, les mouvements anti-capitalistes, le combat écologiste pour la défense de l’environnement, l’émergence de l’économie solidaire ; ce sont toutes des formes de luttes et de revendications qu’il convient d’étudier et de comprendre. On voit alors qu’il s’agit là de logiques toute différentes, d’engagements variés, que l’on ne peut pas étudier avec une théorie unique. Donc au lieu de partir d’une théorie pour tout comprendre, on part très concrètement de toutes les formes de luttes, pour, à partir de là, chercher à comprendre ce qui se passe. Bruno Frère, qui édite l’ouvrage, explique : « C’est dans l’analyse empirique des pratiques et des discours justificateurs qu’il faut découvrir la logique de chacune de ces résistances, la grammaire morale d’une indignation agissante mais qui peut peiner voire se refuser à ‘monter en généralité’, à se doter d’une justification théorique. ». Un langage technique et savant, qui donne un certain niveau au livre, mais qui devrait vous intéresser si vous cherchez à comprendre les combats d’aujourd’hui.
Résister au quotidien ?
Collectif sous la direction de Bruno Frère et Marc Jacquemain
Sciences-Po. Les Presses. 2013