Rencontre avec Pierre Pavy, directeur du restaurant Caffè Forté qui organise tous les samedis midi durant l’hiver un repas solidaire à un euro, et du restaurant Le5 qui, pour sa part, accueillera un public défavorisé pour un grand repas de Noël gratuit le mardi 17 décembre.
Le ventre de Grenoble
Parce que Pierre Pavy est, depuis toujours, un homme engagé, ses restaurants le sont aussi. Il suffit de parcourir la collection de couvertures de Charlie-Hebdo (première et deuxième période) qui orne les vitres du restaurant Le5 pour saisir le personnage. Un engagement qui, durant le scandale des caricatures de Mahomet et le soutien qu’il avait apporté aux dessinateurs menacés de mort par des extrémistes islamistes, valut à l’établissement de recevoir deux cocktails Molotov, occasionnant des dégâts à hauteur de 7000 euros que les assurances refuseront de prendre en charge.
Les deux restaurants ne sont pourtant pas des repères de dangereux anarcho-syndicalistes, leurs cadres chaleureux attirent même une clientèle tout à fait aisée et installée socialement. Et pourtant, comme souvent à Grenoble, ils sont situés entre deux mondes. Le Musée de Grenoble côtoie le Centre Social du Vieux Temple, tout comme le Quartier des Antiquaires tout proche jouxte celui de l’Alma.
« Ici, c’est le ventre de Grenoble, on est vraiment au cœur du problème » nous dit Pierre Pavy, avant d’ajouter : « mais Grenoble n’est pas très grand, et celui qui se promène en disant qu’il n’y a pas vu de malheureux, c’est qu’il a passé son temps le nez en l’air, à regarder les montagnes ! »
Une conscience sociale qui a, tout naturellement, imprégné son travail de restaurateur, avec l’appui de l’association ASDF (aujourd’hui Accueil Vieux-Temple) qui offre des petits-déjeuners aux personnes en difficulté. « Il y a cinq ou six ans, c’était quarante personnes. Aujourd’hui, ce sont cent personnes tous les matins. Et c’est pareil dans les autres accueils, comme le Fournil. Ça augmente. » constate-t-il.
« C’est à force de les côtoyer que j’ai pensé faire le repas de Noël, que l’on fait au 5 pour des questions d’espace. On reçoit entre 80 et 100 personnes chaque Noël, avec à chaque fois l’intervention de musiciens. C’est un grand, très grand moment convivial. »
Un grand moment convivial qui sera aussi l’opportunité, comme chaque année depuis onze ans, de solliciter la générosité de chacun. « Je fais appel à tous mes fournisseurs, on me donne des entrées, des plats, de la viande, du vin… La boulangerie Bourbon avec qui nous travaillons offre à l’association des desserts individuels à chaque personne, on va avoir ainsi quatre-vingt-dix bûches venant d’un grand pâtissier… Je n’ai qu’à mettre en œuvre la nourriture et à la transformer, mais pratiquement tout est offert ! »
A l’occasion de ce repas de Noël, le bénévolat est également de mise. Les membres de l’Accueil Vieux-Temple sont naturellement présents, ainsi que les salariés du restaurant qui prennent sur leur temps libre pour participer à cette initiative solidaire qui représente beaucoup de travail.
Café d’hiver
Des salariés également impliqués dans une autre opération menée par le restaurateur, et qui concerne cette fois le restaurant Caffè Forté, situé en face du 5. Pour la deuxième année, des repas à un euro y seront organisés tous les samedis midi, à partir du dernier samedi de novembre et jusqu’au mois d’avril.
Sur réservation après de l’Accueil Vieux-Temple, et en comptant un maximum de quarante personnes, le Caffè Forté accueillera donc une population qui n’a ni l’habitude, ni les moyens, d’aller au restaurant. Le menu proposé ? D’abord une soupe – « c’est vraiment indispensable : ils veulent une soupe ! » s’amuse Pierre Pavy –, puis une viande en sauce (en évitant le porc), et enfin fromage et dessert, en variant évidemment chaque samedi.
Des repas qui sont l’occasion pour le restaurateur de proposer des plats que ce public n’a pas l’habitude d’approcher. « On arrive à leur faire découvrir des choses. Quand je leur ai proposé du poulet au curry par exemple. Ou quand je leur fais des bols de riz avec des baguettes, ce qui donne un côté un peu ludique. Mais plus de deux milliards de gens mangent avec des baguettes, ils peuvent s’y essayer aussi ! » Et Pierre Pavy de citer encore la tarte à la courge ou le gâteau aux carottes, en précisant qu’à chaque fois des personnes lui ont demandé la recette.
Les retours sont souvent gratifiants : « Les gens se pressent tous pour débarrasser, on doit leur dire qu’ils sont invités, qu’ils ont payés, que ce n’est pas à eux de le faire. Tous voudraient débarrasser, faire la plonge… Ce sont des personnes qui vivent dans l’entraide. Qui veulent participer. Ils sont accueillis avec tellement de sympathie que ça leur paraît normal. »
Militantisme alimentaire
L’entraide, Pierre Pavy veut en faire sa marque de fabrique. Le restaurateur évoque ainsi l’idée de proposer à ses clients « réguliers » d’accepter de payer un euro de plus sur leur addition, qui sera utilisé pour financer les opérations de solidarité menées par les deux restaurants. « Depuis des années, je le dis : consommez militant, consommez intelligent, il en restera quelque chose. »
« Je veux dire aux gens : “ vous avez payé quarante-cinq euros, vous êtes deux ou trois, est-ce que je peux rajouter un euro solidaire sur l’addition ? ” Je suis pratiquement sûr que les gens me diront oui. Et si j’arrive à faire cela, avec la quantité de clientèle que l’on a, on peut arriver sur les deux restaurants à 500 ou 600 euros par mois ! »
Et le restaurateur d’évoquer également son projet, en collaboration avec la Banque Alimentaire, de mettre en place une cuisine destinée à reconditionner les viandes arrivant au bout de leur date de consommation, et habituellement jetée par les surfaces de vente qui ne peuvent les redistribuer, afin de fabriquer des plats préparés et en finir avec un insensé gaspillage.
Pierre Pavy est enthousiaste et optimiste : un lieu a été trouvé par la mairie pour permettre à cette initiative de voir le jour, « durant le premier trimestre 2014 » espère-t-il. Une annonce qui a de quoi nous mettre l’eau à la bouche.