Les candidats aux élections municipales de Grenoble étaient invités à venir assister, ce jeudi 16 janvier à l’auditorium du musée de Grenoble, aux vœux de la Fondation Abbé Pierre.
Sous l’égide de l’Abbé Pierre
Alors que les vœux sont un exercice traditionnellement réservé aux politiques en direction de leurs administrés, la Fondation Abbé Pierre Rhône-Alpes a décidé cette année d’inverser les rôles. À Grenoble d’abord, puis à Lyon et Saint-Étienne aussi, les candidats aux élections seront conviés à venir entendre les vœux des mal-logés. Une parole rare, et autant d’expériences ou de vécus différents.
Dans la luxueuse salle de l’auditorium du musée de Grenoble, devant un public constitué de militants, de sympathisants et naturellement de journalistes, les élus sont installés au premier rang, à proximité de l’estrade. Marc Uhry, le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre prend brièvement la parole, rappelant le message de l’Abbé Pierre et engageant les politiques à prendre leurs responsabilités vis-à-vis des situations de précarité, au nom des principes de la République.
« Sur un territoire, toutes les personnes qui font partie de ce territoire constituent la société. On contribue tous à faire la société : il n’y a pas d’inclus ou d’exclus, des bienvenus ou des malvenus. Il faut reconnaître la possible participation de chacun et c’est cette participation, cette prétention à l’universalité, qui constitue la République. » dit-il au micro, avant de proposer au public de regarder un film dans lequel différentes personnes en situation de mal-logement prennent la parole.
Face caméra
Dans cette vidéo, sur des musiques gracieusement offertes par le groupe IAM, différentes personnes filmées face caméra racontent leurs parcours, leurs difficultés, et décrivent la réalité de la rue. Les centres d’hébergement fermés qui n’offrent plus que les ponts comme derniers refuges, les addictions qui viennent se greffer à ces modes d’existence extrêmes où l’alcool voire la drogue apparaissent comme un répit, ou encore les maladies mentales qui bien souvent favorisent le rejet ou la désociabilisation.
Mais le film ne se veut pas comme une longue litanie des souffrances du mal-logement. Au milieu des difficultés, de la misère quelquefois la plus noire, il est aussi question de liberté, il est aussi question d’amour, d’optimisme et de renouveau. Retrouver un logement à soi, même modeste à condition qu’il soit digne et décent, c’est l’espoir de retrouver un travail, de reconstruire sa vie.
Paroles de « galère »
Saluée par des applaudissements nourris une fois terminée, la vidéo laisse place aux personnes en chair et en os. Marc Uhry invite à venir se relayer sur l’estrade celles et ceux qui ont souhaité venir présenter leurs vœux aux candidats face à face. S’il n’est pas question d’invectiver, si la volonté est au dialogue, les intervenants ont du mal à contenir leur colère face aux situations de misère qui perdurent.
« Je n’ai même pas à lire mon texte » dit Marie en délaissant les feuilles qu’elle tient à la main. « Ce que je veux dire aux candidats, c’est que le blablabla on n’en veut plus. On veut du concret. (…) On veut une vraie démocratie, que les choses changent. Je crie ma haine, je crie ma rage : il faut que ça change radicalement.» déclare-t-elle sans élever la voix, avant de fustiger « les mensonges, les mensonges, les mensonges, encore et toujours. »
« Que ça change », c’est encore le désir d’Isabelle et de Messaouda, de l’Association Femmes-SDF, accueillies au Local des femmes, qui lisent un texte à deux voix, évoquant les difficultés que rencontrent les femmes en situation de mal-logement, la peur de l’agression, les violences, l’hygiène, l’intimité. « La santé, un toit, la nourriture, c’est devenu un luxe, ce n’est pas normal ! » s’exclame Messaouda, et Isabelle de faire la liste des conditions de mal-logement, depuis les appartements vétustes et inhabitables (« ce n’est pas parce qu’on est pauvre que l’on doit accepter n’importe quoi. ») jusqu’aux loyers trop élevés et la « galère » pour accéder aux logements sociaux.
Que ça change, ce sont encore les souhaits de Richard puis de Jean-Philippe qui prennent la parole l’un après l’autre, racontant chacun leurs parcours. Ancien SDF routard ou Gitan venant du Nord après avoir « enterré ses parents », tous deux interpellent les élus et les candidats, réprimant leur colère autant que leurs sanglots. Jean-Philippe ne quitte pas des yeux les politiques, les regardent fixement. « Nous ne sommes pas des rebuts ! » s’exclame-t-il avant de souhaiter ses vœux « de bonheur, de santé, de prospérité pour tout le monde, et un avenir meilleur. »
Serment de coeur
Marc Uhry reprend ensuite la parole en invitant les candidats présents dans la salle à venir sur l’estrade à leur tour, non pour prendre la parole mais pour apposer leur signature au bas d’un « serment » dont il est fait lecture et qui mentionne, entre autre :
« En étant élu, je mettrai tous les moyens à ma disposition pour développer des logements dont les formes, le coût, la qualité, l’emplacement, seront conformes aux besoins de la population. », « Je m’engage à lutter contre la ghettoïsation et la dégradation des quartiers populaires. » ou encore et surtout : « Je m’attacherai à reconnaître chaque habitant de la Ville comme l’un de ses citoyens et je m’efforcerai de contribuer à élargir la puissance d’agir des personnes sur leur vie, notamment celles dont les marges de manœuvre sont les plus faibles. »
« Nous ne nous en sortirons pas en nous détachant les uns des autres, mais au contraire en resserrant les liens qui tissent notre société, et en nous assurant que personne ne reste à quai. » conclut le texte, signé par chacun des candidats présents à cette soirée, avant d’être conviés à un temps de rencontre à l’extérieur de l’auditorium, autour d’un cocktail offert par Pierre Pavy.
En attendant 2020
Il ressortira de ces vœux, avant toute chose, un moment fort, d’écoute et de partage, où ceux qui n’ont habituellement pas la parole ont pu s’exprimer devant des acteurs majeurs de la vie municipale. Un moment émouvant aussi, qui jamais n’est tombé dans la diatribe ou le misérabilisme. La simplicité des intervenants, leur spontanéité étaient palpables, de même que leur sincérité.
Espérons qu’il en ira de même pour celle des responsables politiques qui, de droite comme de gauche, étaient venus assister à ces vœux et ont accepté de signer le serment et les engagements que la Fondation Abbé Pierre leur a présenté.