Dans le cadre des élections municipales de Grenoble, Le Bon Plan a sollicité chacun des neuf candidats afin de leur poser une série de mêmes questions consacrées aux problématiques sociales.
Le Bon Plan a rencontré Denis Bonzy, tête de liste « Nous Citoyens », candidat de la société civile anciennement proche de l’UMP.
Pensez-vous que la représentativité des précaires au sein des institutions municipales est nécessaire et suffisante ? Que peut-on faire, autrement, pour donner plus de place aux précaires au sein des actions citoyennes ?
Est-ce qu’elle est aujourd’hui suffisante ? la réponse est non. Pour une raison très simple : quand vous êtes confronté à des difficultés importantes, un des premiers réflexes est très un réflexe de survie personnelle, et par conséquent de moindre ouverture à la citoyenneté.
Est-elle nécessaire ? La réponse est oui, pour trois raisons : la première, c’est qu’un des enjeux essentiels de la période actuelle, c’est un enjeu d’intégration. Nous sommes dans une période où la société a une très grande capacité à créer des exclusions, qui amènent un parcours psychologique où l’ennemi devient l’autre, d’où un climat très violent d’incompréhension, de stigmatisation… Et ça, c’est un danger phénoménal. C’est contraire à toute la logique de communauté.
Deuxième élément : la meilleure façon pour remettre des personnes confrontées à des épreuves dans une logique positive, c’est de recréer l’estime de soi. Cela passe par la reconnaissance dans un tissu collectif. C’est son rôle que de changer le regard supposé du collectif sur la personne. Autrement il y a un repli sur soi-même qui est psychologiquement très dur.
Le troisième élément, c’est qu’une communauté ne peut réellement avancer que dès l’instant qu’elle ajoute les regards et l’expérience des gens. Si vous avez une réduction au niveau des personnes qui participent aux décisions, par définition la situation n’est pas bonne. Et c’est probablement l’un des enjeux majeurs des prochaines années, parce que vous avez actuellement trois tendances qui sont très inquiétantes : le dispositif d’exclusion, la baisse du civisme et le matérialisme face aux idées.
Il faut en France considérer que l’épreuve peut-être la voisine de chacun. Il faut que la société permette le rebond, c’est la plus belle chance qu’elle peut s’offrir à elle-même et c’est la meilleure façon de respecter la dignité humaine.
Quelles initiatives sont à mettre en place ou à pérenniser en faveur des précaires dans la municipalité? (accès aux crèches, aide au soutien scolaire, etc.)
Deux initiatives comptent. La première, c’est l’individualisation. Je suis très surpris par le fait que les collectivités publiques ont tendance à considérer que l’avancée serait le traitement déshumanisé. C’est une terrible marche en arrière. Un collectivité avance si elle est capable d’humaniser ses décisions.
Le changement majeur, c’est de considérer qu’on est au service d’autrui, et qu’autrui n’est pas une proie. C’est la grande différence entre une période facile et une période difficile : dans la période facile, vous avez le sentiment de maîtriser votre temps et votre destin. Dans la période difficile, vous ne le maîtrisez pas, et vous être devenu proie. Ça va dépendre des autres. Cette mentalité de la proie est insupportable. Fondamentalement, c’est cela qu’il faut changer : il faut individualiser les décisions.
Deuxième élément : il faut avoir un rapport au temps qui sorte de l’accélération permanente. Prendre le temps que les décisions soient bien pensées, bien mûries, bien individualisées. L’individualisation d’une décision, ce n’est pas l’arbitraire, mais au contraire le fait qu’elle va être adaptée à la personne, et c’est à mon avis l’aspect le plus important.
Que faire pour pérenniser ou augmenter les capacités d’accueil des plus démunis ? Celui-ci doit-il uniquement passer par des associations, et comment les soutenir et s’assurer de leur bon fonctionnement ?
Le logement doit être la priorité absolue. Ce n’est pas possible d’être soi sans toit. Je suis très affecté par le fait que l’on puisse considérer qu’un logement serait simplement du béton ou des éléments de ce type : c’est une part de l’identité. C’est pour cette raison que nous nous sommes engagés à avoir un moratoire long sur les expulsions. Le coût humain des expulsions est absolument scandaleux.
En ce qui nous concerne, si nous sommes élus, il y aura un traitement individuel des dossiers et l’effacement de dette. La collectivité doit considérer que dans le rebond, il faut à un moment donné effacer la dette, sinon le rebond est impossible. Je suis persuadé que la société s’y retrouverait financièrement.
Cet effacement peut-il créer une forme d’irresponsabilité pour d’autres ? Je ne le pense pas. Je suis profondément choqué par la conception de la nature humaine qui consiste à considérer qu’elle est en permanence disposée à évoluer vers le plus mauvais. Ce n’est vraiment pas ce que j’ai vécu.
Comment résoudre les problèmes d’accès au logement social (en particulier le temps d’attente) et celui-ci est-il la seule piste pour lutter contre le mal-logement ? Faut-il entrevoir un partenariat public-privé ?
Je suis pour permettre, aux occupants volontaires, un dispositif d’accession à la propriété avec un produit immédiatement réinjecté dans le logement social. On voit dans certains organismes que le taux d’occupation est très élevé. L’intérêt qui peut peut être donné aux familles occupantes serait d’avoir, pour le montant de loyer, une accession de propriété sur plusieurs années, encadrée par la collectivité. C’est son intérêt.
La personne propriétaire de son logement aura un comportement très attaché à ses murs. Elle pourra capitaliser si elle souhaite évoluer. Et cet argent-là doit repasser par le logement public, pour permettre un logement public de très grande qualité, et en renforçant les accès pour les jeunes.
Il faut que la période dix-huit ans-vingt-cinq ans soit une étape vers l’autonomie. Il doit y avoir un énorme effort, quantitatif et qualitatif. En ce qui concerne cet effort, c’est un engagement moral, nous sommes pour un revenu minimum citoyen, qui correspond là aussi à un vrai besoin collectif. Il faut que la société soit accueillante !
Au-delà de la seule question du logement social, le logement sur Grenoble est trop cher, les loyers élevés empêchent les travailleurs les plus modestes à accéder à des logements décents. Que peut faire la mairie ?
Dans de nombreux domaines, il faut que la mairie appelle les partenaires privés à respecter un comportement citoyen. On assiste à la naissance de trois tendances fortes : la première, c’est que le décision ne s’impose plus, mais se partage. Deuxième tendance : apprendre à mieux se connaître et mieux se respecter. Troisième élément : il ne doit plus y avoir de coupure entre collectivité et entreprises. Le temps des entreprises citoyennes est né. On sent que François Hollande tourne autour de cette question-là, qui est à mon avis le début d’une tendance forte. Si une entreprise considère qu’elle est exclusivement dans une approche de rentabilité sans la moindre connotation sociale, elle ira vers des échecs considérables.
Donc, en qui concerne la mairie, nous avons des efforts importants à faire dans les liaisons avec les partenaires privés pour les faire avancer sur cette pédagogie-là. La mairie est un donneur d’ordre important au niveau des marchés et peut dire : « voilà les règles que nous souhaitons voir respectées. » Et il y aura un partenariat avec les structures qui vont les respecter. Il y a probablement un dispositif de ce type à initier.
Si vous étiez élu(e), quelles seraient vos priorités en matière sociale ? Pouvez-vous établir un « top 3 » de vos priorités dans ce domaine ?
La première mesure immédiate : le point individualisé sur les situations qui peuvent amener les expulsions de logement. Et l’effacement des dettes. Ça me tient énormément à coeur, et je suivrai les dossiers personnellement.
La deuxième mesure, c’est l’intégration dans un processus professionnalisant, au niveau des quartiers en difficulté. Quand vous avez dix-huit ans et que vous êtes sorti d’un dispositif « de masse », il faut qu’il y ait un procédure de seconde chance, qui passe par l’individualisation. Si vous n’avez pas cela, cela veut dire que vous pouvez vous faire à deux idées : « j’ai devant moi une vie de chômeur, et je peux ou dois recourir à un système parallèle ».
J’ai vu que Matthieu Chamussy faisait des déclarations très sévères sur les dépenses des régies de quartier, qui font un travail fantastique en terme de proximité. Moi je leur dirai : « n’hésitez pas à dépenser ! » Il faut accepter que certaines dépenses ne soient pas nécessairement rentables.
Troisième élément : il faut dédramatiser les échecs. L’échec n’est pas éliminatoire. Je nommerai à des postes de responsabilité et sur des opérations fortes des personnes qui ont commis des échecs, et en l’assumant totalement. Parce que ce qui compte, c’est de réhabiliter le rebond. C’est le meilleur service qu’on puisse rendre à la personne, et ce sera un message collectif absolument fantastique.