Après le vote, au terme d’un long périple, le 20 février dernier, de la loi Alur sur le logement (dite loi Duflot), dont Le Bon Plan avait résumé les grandes lignes, nous avons interrogé les associations et les syndicats sur la pertinence de la loi et sur la question de savoir si elle satisfait ses ambitions.
Une loi différemment appréciée
Petit rappel à la loi : il s’agit d’abord d’encadrer légalement les loyers, pour garantir des logements décents à un prix décent. Il s’agissait ensuite de lever une barrière importante pour l’accès au logement, la caution, en instaurant la fameuse GUL (dispositif permettant d’une part à l’Etat de se substituer à un locataire qui ne paierait pas ses loyers pendant plusieurs mois et qui, d’autre part, peut aider les locataires dans l’impossibilité de payer la caution). Enfin, la nouvelle loi prévoit la construction de 500 000 nouveau logement, dont 150 000 logement sociaux. Ce qui change maintenant avec cette loi, c’est que sera fixé (par le préfet) un loyer médian, qui déterminera un loyer plancher et un loyer plafond (pour empêcher des loyers démesurés). Change aussi le régime des cautions, avec la GUL. Enfin, la nouvelle loi renvoie au propriétaire les frais de location (frais d’agence par exemple), et ouvre la voie légale à l’habitat participatif (acquisition ou construction à plusieurs).
Au niveau des réactions politiques, comme on peut se l’imaginer, la gauche a salué une avancée sociale, tandis que le droite a crié à une violation du droit de propriété. Mais qu’en ont pensé les associations et les syndicats ?
Pour Michel Delafosse, d’Un Toit Pour Tous, la loi constitue une avancée, mais sous réserve de voir comment, concrètement, les choses vont changer. « Il y a un premier volet qui concerne tous les rapports entre propriétaires et locataires, et là il y a des modifications qui sont, de mon point de vue, des avancées. Mais il faudra attendre pour savoir si les dispositions adoptées vont dans le bon sens. Il y a beaucoup de conditions à remplir pour voir si les dispositions nouvelles peuvent porter un effet positif, et en plus, si c’est le cas ce sera très progressif, donc il est vrai que l’on réserve notre jugement, et disons que l’on est loin des grandes promesses, voire des fanfaronnades, qui ont accompagnées la présentation du projet de loi. ».
Du coté des propriétaires, mais pour d’autres raisons, on n’est pas plus satisfait. Selon Olivier Collignon, Président du Syndicat des propriétaires et des copropriétaires, cette loi est un projet idéologique destiné à augmenter le pouvoir des locataires. Elle est trop compliquée et totalement inapplicable. « Elle fera l’objet de nombreux décrets et cela sur plusieurs années. La loi ALUR va remplir les tribunaux, c’est une gigantesque source de contentieux. ». Concernant Grenoble, le syndicat considère tout simplement que cette ville n’est pas une zone tendue (c’est à dire une zone où la demande de logement fait exploser les prix).
Marc Uhry, délégué régional Rhône-Alpes de la Fondation Abbé Pierre, reste, lui, plus sensible aux problèmes des mal-logés qu’aux pertes financières des propriétaires. « Dans son intention, la loi reprend en partie des préconisations qu’on avait proposées, et qui avaient été validées par le candidat Hollande, notamment en terme d’encadrement des prix. Ça fait trente ans qu’en France, on avait lâché toute idée de politique et d’encadrement des prix. Donc on peut dire que l’on s’y retrouve par rapport à ce que proposait le précédent gouvernement. Mais dans ce que cette loi va faire on est un petit peu plus dubitatif. Si cette loi avait existé il y a quinze ans cela n’aurait pas changé grand chose à la situation actuelle. ». Pourquoi ? On cible là des défauts précis dans la loi.
Un projet inabouti ?
Pour Marc Uhry: « La loi bloque l’augmentation des loyers, mais dans des proportions telles que en fait on ne baisse pas vraiment le montant. Donc on a une réglementation mais qui n’empêche pas vraiment le loyer de monter. ». Du coté d’Un Toit Pour Tous, on est pas convaincu non plus de l’efficacité du dispositif. Michel Delafosse juge : « Le dispositif fixe un cadre général assez intéressant. Mais peut être que tout ça ne va pas aboutir. Si tout se met en place progressivement, il est possible que cela ait un effet, mais qui sera très progressif dans le temps. ».
Selon Henri Danet, président de la Confédération Nationale du Logement de l’Isère qui représente les locataires, « Les loyers sont trop élevés, un encadrement des loyers ne sert à rien, il faudrait avant tout un gel de l’augmentation des loyers pendant un an. » Le Président de la CNL38 précise aussi que cet encadrement des loyers ne concerne pas les logements sociaux et que cette restriction est la grande lacune de la loi ALUR.
Même son de cloche pour la GUL. Michel Delafosse (sur la photo) regrette le recul du gouvernement sur le financement de la caution. « La GUL est une très bonne idée. C’est à dire que quelque soit la situation du propriétaire et du locataire, il y a un budget commun qui permet de faire face aux impayés de loyers et d’éviter la surenchère des garanties à l’entrée, et d’éviter si possible les expulsions. C’est une très bonne idée Simplement madame Duflot a battu en retraite, et la GUL est devenue facultative. ». Marc Uhry lui va plus loin : c’est le système même de la GUL qui pour lui est défaillant. « Je pense que la GUL ne fonctionne pas. A chaque fois on essaye la même chose, une garantie collective des loyers, c’était le cas en 1990 avec le fond de solidarité logement, c’était le cas avec la garantie du risque locatif, avant que cela ne devienne la GUL maintenant, et on va se retrouver avec exactement le même type de problématique. En Belgique une banque est obligée d’avancer par exemple la caution pour ses clients, même quand ils sont insolvables, ils leur prêtent l’argent de la caution, il n’y a pas de demande de garant, donc ce sont des solutions beaucoup plus simples. ».
Selon Olivier Collignon, la GUL va inciter tous les locataires indélicats à quitter les lieux sans payer. Pour Henri Danet, lui, la GUL rend impossible toute expulsion du locataire et ne sera pas adoptée par les propriétaires. La « GUL est inefficace car elle n’est pas imposée aux propriétaires qui continueront de demander des garanties auprès de membres de la famille du locataire et de se retourner contre eux si le loyer n’est pas payé ». La CNL38 souhaite qu’avant toute expulsion on propose un autre logement au locataire qui ne peut plus payer.
Craintes et espoirs
D’autre part, pour le président du Syndicat des Propriétaires, la rentabilité d’un bien immobilier est aujourd’hui inférieure à 2,5%. Olivier Collignon précise : « Cette loi risque tout simplement de décourager les investisseurs, faire chuter les constructions et entraîner la baisse des transactions. ». Il rappelle que de nombreux logements sont vacants dans la région, ce qui contraint les propriétaires à baisser leur loyer. Quant aux locataires qui ne payent pas leur loyer, « il faut attendre trois années pour obtenir l’exécution d’un jugement d’expulsion. ».
Olivier Collignon indique encore qu’il regrette toujours que des personnes vivent dans des HLM, alors que leurs revenus ont augmentés et qu’ils pourraient vivre dans le parc privé. « De nombreuses personnes vivent dans des logements sociaux bien trop grands, ce n’est pas normal. », dit-il.
En ce qui concerne l’obligation faite au propriétaire de faire des travaux pour la décence des logements, Henri Danet de CNL38 indique que le locataire sera obligé d’attaquer son propriétaire, pour faire respecter ses droits, « ce qui n’est pas facile qu’on a eu tant de mal à obtenir son logement. ». Pour Olivier Collignon, « Si un logement n’est pas aéré, par exemple après avoir utilisé un lave-linge, cela provoque de l’humidité. Cependant, les locataires peuvent se plaindre au service d’hygiène de la ville pour contraindre le propriétaire à réaliser des travaux d’aération inutiles ! ».
C’est dire qu’après la loi Duflot, le problème du logement persiste. Pour Michel Delafosse, le problème du logement aujourd’hui réclame que ce soit les pouvoirs locaux qui entreprennent de construire. « Certes les lois sont importantes, mais il faudrait qu’elles soient réduites en volume, qu’elles soient simples, qu’elles soient centrées sur les enjeux essentiels. Si il y avait une grande loi à faire, ce serait de donner vraiment la responsabilité au pouvoirs locaux (…). Dans un cadre local on dit : il faut plus de logements accessibles aux ressources. Les trois quarts des logements qu’on met à la location aujourd’hui ne sont pas supportables par les ménages demandeurs. Il faut beaucoup de logements, il faut des logements accessibles, pour ça il faut que les élus prennent leur responsabilité. Il faut pouvoir construire, il faut construire, il ne faut pas hésiter à le dire, et là dessus on est attentif à ce qui se dit dans pendant cette campagne. ».
Il est donc clair que pour les associations la loi Duflot ne mettra pas un terme au problème du logement en France aujourd’hui. Ainsi en conclut Marc Uhry : « La loi va changer des choses en tant que cadre de travail, mais pour les gens en galère je suis pas sûr que ça va changer grand chose. Ça ne va pas changer la vie des quartiers, ça ne va pas changer le problème de ceux qui habitent trop loin, ça ne va pas changer grand chose sur l’insalubrité et la précarité énergétique. On va avoir un petit peu de mieux : il y a aura 10 euros d’allocation logement en plus ici, 20 euros là, une meilleure prise en compte de l’évolution des charges par les allocations logement, mais je ne crois pas que tout ça change vraiment la vie. A la limite la loi qui organise les métropoles a plus d’importance sur l’organisation du logement, a plus d’importance sur la vie des gens que cette loi là. ».
La loi ALUR ne satisfait donc personne. A l’origine, projet ambitieux, elle a perdu beaucoup de sa force motrice au fur et à mesure de sa mise en place. Les représentants des locataires la trouvent trop limitée, le Syndicat des propriétaires et copropriétaires la considère trop contraignante dans un secteur déjà trop réglementé. Parmi les points de convergence, tous saluent le fait que l’on punisse enfin les « marchands de sommeil » et tous s’accordent à dire que l’objectif des 500 000 logements construits tous les ans n’est pas réaliste pour un État qui n’a ni les terrains ni le budget de ses ambitions. Enfin, chacun dénonce la grande complexité de cette nouvelle initiative, même si les associations soulignent aussi un certain nombre d’avancées, qui, bien que ne solutionnant pas tout, montrent que cela va quand même dans le bon sens.