Le monde de la diplomatie et des cabinets ministériels vu de l’intérieur, raconté en Bandes Dessinées : pari audacieux et réussi tant sur l’aspect narratif que graphique. Quand la BD fait la démonstration qu’elle est devenue un art adulte, abordant un thème complexe, celui du monde du pouvoir, sans pour autant s’abandonner à la caricature et à la facilité. Brillant, passionnant, presque indispensable en ces périodes d’actualité politique foisonnante.
Le Tome 2 de Quai d’Orsay a tenu les promesses du premier volume. Tout aussi fort, pertinent que le premier opus qui nous contait l’arrivée du jeune Arthur Vlaminck au ministère des Affaires Etrangères, nous suivons désormais ce jeune diplomate jusqu’à l’ONU au moment où se trame l’intervention des Américains en Irak. Pour le rappel historique de tout cela, une lecture de la presse de cette époque, les mémoires de Jacques Chirac ou de Georges Bush ou bien encore un livre résumé sur le modèle « La guerre d’Irak expliquée aux Nuls » suffiront à vous rafraîchir la mémoire. Mais pour le reste, c’est-à-dire les enjeux du pouvoir, le quotidien des alcôves, l’écriture des discours ou des communiqués de presse, l’élaboration des prises de positions et le particularisme des relations humaines lorsqu’il s’agit de pouvoir, « Quai d’Orsay » nous dresse un état des lieux riche et dense, qui ne cède pas à la dénonciation facile tout en se plaçant dans le registre de l’humour.
L’originalité de cette BD tient essentiellement à la diversité des lectures que l’on peut en faire : scènes comiques qui se succèdent, mise à nu du pouvoir, témoignage sur la construction de l’histoire. Les situations et les personnages sont connus, à peine dissimulés sous des noms d’emprunt : l’Irak est devenu le Lousdem et Dominique de Villepin s’appelle désormais Alexandre Taillard de Worms. Mais ces aimables diversions (ces illusions comiques ?) ne font que rendre encore plus réelle des rapports humains tendus, des egos surdimensionnés et des affects capables de remettre en cause des stratégies diplomatiques savamment élaborées.
La force de cette série tient également dans sa dimension graphique. Délibérément non réaliste, le dessin de Christophe Blain est pourtant très proche de la réalité. La représentation de Dominique de Villepin, sous la forme d’un géant aux allures de rapace, et dont les déplacement sont systématiquement accompagnés d’onomatopées bruyantes, est une réussite nous en dévoilant davantage sur ce personnage que les éditos de nos habituels éditorialistes politiques. La construction des pages, le dynamisme du dessin mettent en avant extraordinaire fuite en avant qui semble guider le parcours des politiciens et de ceux qui ont le goût du pouvoir.
Histoire passionnante mise en scène dans un style original et audacieux, Quai d’Orsay est certainement une des meilleures BD du moment, élargissant le champ d’action du neuvième art et disséquant astucieusement le monde politique.
Quai d’Orsay, Chroniques diplomatiques Tome 2
scénario : Abel Lanzac
Dessin : Christophe Blain
Éditions Dargaud, 15 €
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