Quelle est la valeur historique et véritable de la Bible ? Tel est le propos central du nouveau livre de Gérald Messadié, qui soumet à un examen extrêmement serré le texte sacré, d’un point de vue logique, historique et ethnologique.
Une approche contemporaine du texte
C’est une étude « par delà le bien et le mal », c’est à dire qu’elle est vierge de tout présupposés religieux, moraux ou philosophique, et qu’elle entend seulement examiner le texte biblique à la lumière non plus de la foi dans la révélation mais vis à vis de la réalité concrète et des paramètres rationnels et logiques qui la définissent. Nous disions « par delà le bien et le mal » : le propos de l’auteur n’est pas bêtement anti-religieux et ne ressemble en rien à un « traité d’athéologie » d’un Michel Onfray ; l’auteur n’engage pas de discussion de la vérité de la morale, ou du bien-fondé de l’amour du prochain. Il ne nous dit pas non plus que Dieu n’existe pas, ni même qu’il existe, mais il lit simplement des récits dont il examine systématiquement la plausibilité, en vérifiant à chaque fois la possibilité, la crédibilité, la vraissemblance et la cohérence de ce qui est raconté. Il faut saluer à cet égard l’ampleur du travail mené : toute la Bible, de l’Ancien Testament au Nouveau Testament, est minutieusement examinée. De plus l’auteur mobilise des connaissances linguistiques, historiques et géographiques impressionnantes, à la lumière desquelles il parvient à déceler les incohérences ; sans elles il n’y serait pas parvenu.
Ce que l’auteur démontre de manière incontestable c’est qu’en aucun cas la Bible ne peut être considérée comme ayant une valeur historique. Tout simplement parce qu’elle relate des faits contradictoires. Ce que l’on comprend clairement à la lecture de ce livre, c’est que la Bible est non pas directement et idéalement révélée, mais qu’elle procède de différentes traditions religieuses, élaborée à différentes époques, au sein de différents courants religieux. Mais le texte étant sacralisé, nul n’y cherche la contradiction, et c’est tout le mérite de l’honnêteté de l’auteur que d’aborder le texte sans préjugé aucun, et de pouvoir y repérer toutes les incohérences. Celui-ci explique en introduction : « L’Ancien et le Nouveau Testament ont été rédigés au cours des siècles par des hommes qui avaient interprété des récits selon les traditions, c’est à dire selon des habitudes de pensée et des influences locales. Ces œuvres intégralement humaines sont en fait les versions écrites de courants indépendants, entraînant des contradictions flagrantes. ».
Aborder la Bible sans le présupposé de la révélation
Ce présupposé, que la Bible est œuvre humaine et non divine, conduit l’auteur à exiger cohérence, là où la tradition de l’interprétation du texte n’y voyait que des contradictions d’apparence. Par exemple le récit de la chute, dans la Genèse : Dieu avertit l’homme : « si tu manges de ce fruit tu mourras ». L’homme mange du fruit, et Dieu lui dit « tu travailleras dans la peine ». Pour l’auteur c’est une contradiction flagrante puisque l’homme ne meurt pas mais travaille. C’est donc pour lui incohérent. Mais un théologien comme Saint Augustin ne manquerait pas de distinguer la mort de l’âme et la mort du corps, ce qui fait que la mort dont il est question ne serait que mort de l’âme et non mort du corps, et la peine au travail serait précisément la conséquence de la mort de l’âme qui ne vit plus de la loi divine. Ce bref exemple illustre la position du livre de Gérald Messadié : celui-ci congédie le préssuposé de la véracité de la Bible, et c’est ce qui lui permet de cibler des contradictions, là où pour les théologiens on préssupose que le texte est véridique et où l’on contourne les contradictions par des interprétations.
De quelle base faut il partir pour lire la Bible ? Pour l’auteur le nombre et l’ampleur des contradictions réfute toute origine transcendante. Il remarque souvent la médiocrité morale du texte : la femme est tirée d’une côte d’Adam, Dieu déclare vengeance aux pécheurs, etc.. Bref, l’auteur ne manque pas de souligner que le Dieu que dessine l’Ancien Testament ne possède pas la sainteté que l’on lui attribue pourtant.
La Bible inexacte quand au événements qu’elle relate
Un autre aspect important du livre est aussi ce qu’il révèle par rapport au contenu biblique. Il renverse un grand nombres de lieux communs, connus de chacun et celèbres dans notre histoire, dont l’auteur nous dit pourtant qu’ils sont faux. Exemples : Moïse n’était pas juif, le peuple juif n’a pas fui l’Egypte mais en a été chassé, le massacre des innocents relaté dans le Nouvau Testament n’a jamais eu lieu, les apôtres n’étaient pas douze mais quatorze, Jésus n’a pas pu être baptisé par Jean-Baptiste, la résurrection de Lazare, telle qu’elle est décrite, est impensable en regard des rites funéraires de l’époque, l’épisode des marchands du temple n’a pas pu avoir lieu, la Cène n’a pas eu lieu un jeudi, Pilate ne s’est pas lavé les mains, il est improbable que Jésus ait porté une couronne d’épine, Barrabas n’a jamais existé, Jésus n’a pas été cloué sur la croix, et n’y est donc pas mort, et c’est vivant qu’il est réapparu aux apôtres. Rien que ça.
Il y a là un travail très intéressant, qui permet de relativiser le contenu biblique à une morale humaine, et d’en examiner librement le contenu, d’une part, qui révèle aussi la teneur principalement symbolique du « livre sacré », et qui peut alors suggérer une lecture plus intelligente des paraboles qui y figurent. Un livre somme toute important pour celui qui réfléchit aujourd’hui.
Gérald Messadié – Contradictions et invraisemblances dans la Bible
Editions L’Archipel, 2013, 408 pages, 19,95 euros