Le père comme un étranger, c’est le thème du dernier ouvrage, autobiographique, de Pascal Bruckner aux éditions Grasset.
Dégoûts et des couleurs
Un bon fils, Pascal Bruckner ? Peut-être pas aux yeux de son père, nostalgique de Vichy autant que du Troisième Reich, antisémite et raciste, portant avec fierté ses cheveux blonds et ses yeux bleus autant qu’un nom auquel ils sont pourtant nombreux à trouver une consonance juive.
Un père tyrannique également, en particulier avec la mère de l’auteur qu’il agonira jusqu’à sa mort de sa mauvaise humeur, une vie maritale faite de violences et d’humiliations dont Bruckner garde un souvenir cuisant, haineux à l’encontre de cet homme qui lui a donné la vie et lui ressemble tellement peu. La communication semble impossible entre ces deux mondes, ces deux générations aussi, qui ne partagent que le sang. Et le père ne sait quoi répondre lorsque le fils lui demande : « Mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait, les Juifs ? »
Et pourtant, ce père vivra vieux et restera près de son fils jusqu’à la fin, dépendant financièrement sinon sentimentalement. Bouleversé lorsqu’il croit avoir entendu son fils lui dire « je t’aime » dans un message vocal tronqué. Mais toujours prompt à cracher sa haine, vomir ses idées reçus et ses a-priori racistes sans discernement, insultant jusqu’aux infirmières qui prennent soin de lui dans sa chambre d’hôpital, et ne comprenant même pas qu’une femme noire puisse ne pas tolérer qu’on lui suggère de « regrimper dans son arbre ».
Si ce n’est toi, c’est donc ton fils…
« Les gens sont beaux, Papa, ce sont tes yeux qui sont laids » dit le fils au père. Mais sans oublier la majuscule au « p » de Papa. Sans oublier de placer l’image de ce père sur un piédestal, fut-il fait d’immondices. Et c’est cela que l’on pense lire entre les lignes : l’histoire d’un homme qui rêve de haïr son père mais n’y parvient simplement pas, qui ne peut se résoudre à l’abandonner, aussi violent et imbécile puisse-t-il être.
À travers son récit autobiographique, sa découverte enfant de la sexualité, son goût de jeune homme pour les femmes, son amour pour Paris, son amitié avec Alain Finkielkraut et tant d’autres choses encore, Bruckner parle de son père, qui revient toujours et à jamais, et dont il semble attendre une reconnaissance qui, naturellement, n’arrive jamais. « Il n’aimait pas mes livres, les trouvait trop longs, trop obsédés, trop compliqués, trop orientés » écrit l’auteur, qui semble prendre le parti de déplaire au père à défaut d’être en mesure de le contenter.
Présenté, dans son quatrième de couverture, comme un « pudique roman de formation », Un bon fils apparaît surtout au lecteur comme un impudique cri de haine amoureuse à l’intention d’une figure paternelle biaisée et écrasante, un règlement de comptes revendiqué vis-à-vis d’un mort que d’autres, y-compris ses petits-enfants, aimaient cependant.
Et si l’on ne saurait mettre les positions idéologiques de Bruckner sur le même plan que celles de son progéniteur, on ne pourra s’empêcher de retrouver par moment dans ce récit un même ton catégorique, un même réseau de certitudes qui ne rendent pas toujours le « bon fils » forcément plus sympathique que le « mauvais père ».
Un bon fils
de Pascal Bruckner
Éditions Grasset
260 pages, 18 €