Un Adolf Hitler de retour après soixante-dix ans d’absence, c’est ce qu’imagine Il est de retour, roman redoutable qui s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaire outre-Rhin.
Allemagne années 2000
« Si Adolf Hitler revenait, ils lui enverraient une limousine » chantaient en substance les Clash à la fin des années soixante-dix. Dans son roman, Timur Vermes ne dit pas autre chose, lui qui narre le réveil impromptu du dictateur dans un parc berlinois d’aujourd’hui, lequel se voit rapidement célébré par la télévision et les médias allemands comme un merveilleux humoriste qui assène ses vérités en jouant la carte du second degré et de la provocation.
Bien sûr, il y a une part d’absurde revendiquée dans ce roman singulier : on ne saura jamais comment ni pourquoi Adolf Hitler réapparaît ainsi, au sein d’une Allemagne qui tend à l’oublier ou à le banaliser, et lui-même choisit de ne pas se poser la question. À quoi bon se triturer la cervelle en quête d’une réponse impossible à trouver lorsque la reconquête du pouvoir s’avère une tâche autrement plus urgente pour celui qui veut redevenir le Führer ?
Raconté à travers les yeux et les pensées d’Hitler, Il est de retour amuse par l’expression du décalage certain entre le « système » idéologique hitlérien et les réalités de l’Allemagne contemporaine, entre la logique d’un état en guerre et celle d’une Allemagne en paix. Sans compter la découverte de la télévision, d’Internet, ou simplement de la présence dans les rues et les commerces d’une minorité turque qui ne manque pas de surprendre le rescapé du Troisième Reich.
L’audimat qui fait fureur
Mais le roman ne fait pas qu’amuser : en dressant le portrait d’une société où le spectacle permanent a remplacé l’implication politique ou philosophique, où la dérision sans discernement règne en maître pour satisfaire un consumérisme débridé, Timur Vermes livre une satire grinçante des errements de la mentalité européenne, au sein de laquelle un Adolf Hitler ressuscité parvient à captiver et rallier des foules qui, sous prétexte d’humour ou de second degré, finissent par se laisser prendre au jeu. Toute ressemblance avec des humoristes agissant sur le sol français serait purement fortuite.
Difficile de trouver à redire à ce récit complet, dense et accessible, qui se dévore littéralement. Le glossaire présent en fin d’ouvrage – qui aurait gagné à être signalé en début de lecture, voire remplacé par des notes de bas de page – permettra au lecteur de contextualiser certaines notions ou certains noms propres à la société allemande, mais que l’on soit rassuré : inutile d’être un spécialiste du monde germanique pour comprendre ou apprécier cet ouvrage qui parle autant de nous que des autres, et dans lequel il n’est pas difficile de reconnaître les travers de notre propre société hexagonale.
Phénomène de librairie en Allemagne, Il est de retour semble avoir du mal à trouver son public en France. On ne saurait pourtant que recommander la lecture de ce livre vif et incisif, qui constitue dans son genre et sans sa forme un petit chef-d’oeuvre d’humour et d’intelligence, tour à tour édifiant, hilarant, ou inquiétant, qui interroge son lecteur autant qu’il le captive. Assurément l’un des meilleurs romans de l’année.
Il est de retour
De Timur Vermes
Traduction de Pierre Deshusses
Éditions Belfond
416 pages, 19, 33 €