Le poète grenoblois Jean-Pierre Chambon signe un recueil de textes courts, un « tout venant » où s’évoquent images et pensées.
Le monde sur son socle
Le bond d’un écureuil
à la cime d’un épicéa
le craquement d’une allumette
éclairant la broussaille
d’obtuses pensées
Ces pensées, quelles sont-elles ? Jean-Pierre Chambon ne le dit pas. Ses poèmes souvent parlent de la pensée sans la dire, narrent des moments vécus ou vus et laissent au lecteur le soin de les ressentir. « Il me semble plus intéressant de montrer l’instant, nous confie l’auteur. Ce sont des poèmes en suspens. Des points de suspension. »
Pas de ponctuation non plus dans les textes courts, à la manière des haïkus japonais, qui constituent ce recueil : les oeuvres sont ouvertes et Jean-Pierre Chambon n’avait pas pour intention de « donner toutes les clés ». Ce qu’il décrit, ce sont les images qui l’ont marqué. « « Les images ont une certaine intériorité et c’est ce que j’ai essayé de rendre : une vision très collée aux choses, au regard, et puis au sentiment lié à ce regard. »
Des « photographies faites avec des mots » nous dit-il, pour un ouvrage assez différent de ceux qu’il signe habituellement. La bibliographie de Jean-Pierre Chambon impressionne en effet, mais le poète s’attache à essayer de ne jamais « faire chaque fois le même livre ».
Ici, dans ce « tout venant » poétique, c’est l’évocation qui prime : le regard posé sur un inconnu à un moment précis, un simple geste ou mouvement qui devient métaphore. Le « je » quelquefois s’exprime, mais ce je peut être aussi universel que « l’homme » qui apparaît parfois au fil des textes peut désigner l’auteur lui-même. Une figure dans laquelle chacun peut être amené à se reconnaître : si je est un autre, insensé est celui qui croit que je n’est pas lui…
Le rêve d’une langue transparente
Qu’il s’agisse de cet homme qui observe la colline à la jumelle, « cherchant à retrouver (…) la raison du rêve qui l’attirait enfant là-haut vers les bois lugubres », de ce « garçon taciturne » qui regarde les camions « emporter ses pensées vagabondes », chaque image semble passer à travers le prisme d’une sensibilité rêveuse, sans doute mélancolique, peut-être désabusée.
Quant à la nature, le monde qui se dessine chaque jour autour de nous, il sont eux aussi des sujets d’observation, des objets de métaphores aussi criantes de vérité que troublantes à la lecture.
Une vague phosphorescence
filtre au travers de membranes
un amas de nuages desserre ses écailles
pour laisser passage à la lune
méduse gélatineuse
lentement expulsée du ventre des ténèbres
Si la poésie est un genre littéraire bien confidentiel, elle demeure vivante à travers de nombreux auteurs et de nombreux éditeurs, et ses querelles sont toujours bien présentes. Jean-Pierre Chambon s’inscrit volontiers dans une tradition plutôt « lyrique », faute d’un terme plus approprié.
La beauté des choses, la saveur des instants, constituent ses mots et créent un recueil qui se parcourt et se feuillette, qui dépose des pensées par touches successives, jusqu’à former un tout riche et varié, qui semble changer de visage chaque fois que l’on y revient. Un voyage « au fond de la forêt obscure » où se « tresse le noeud du grand mystère ». Et une lecture précieuse.
Tout venant
de Jean-Pierre Chambon
Éditions Héros-Limite
218 pages, 18 €