La « trêve des confiseurs », une drôle d’expression pour une drôle de période, qui n’a finalement de trêve que le nom, au regard de tout ce qui s’y passe et de tout ce qu’elle suscite.
Faisons une trêve
Et voici que s’ouvre la mystérieuse « trêve des confiseurs », une périphrase pour désigner la période – supposée – de calme politique observable entre Noël et le jour de l’an. Période de bombance où, il est vrai, les estomacs s’échauffent plus vivement que les esprits.
Datant de la fin du dix-neuvième siècle, l’expression « trêve des confiseurs » avait tout ce qu’il faut pour s’implanter dans le langage courant : à la fois poétique et délicieusement satirique, elle illustre également à merveille la dimension consumériste de nos sociétés modernes.
Si l’Église, depuis le Moyen Âge, instituait à certains moments de l’année des « trêves de Dieu », elle le faisait au moins au nom d’un idéal. Les guerres s’interrompaient le temps d’une prière, il convenait de respecter le calendrier du divin. Une valeur, quoi qu’on puisse en penser, qui présuppose tout de même une notion de dépassement de soi, de métaphysique en somme.
Aujourd’hui, la valeur est de l’ordre du remplissement, et le divin se niche dans les casseroles ou terrines de foie gras qui accompagnent les deux réveillons de fin d’année. « Moi je voudrais tous les voir crever, étouffés de dindes à marron » chantait Renaud à propos du peuple français dans Hexagone, une chanson qui lui vaudra la censure. Pour anti-patriotisme primaire, ou pour refus de s’incliner religieusement devant les joies de la grande bouffe hivernale ?
Les confliseurs
Car la trêve n’est pas pour tout le monde : les humoristes et satiristes mal-pensants ont toujours pris soin de moquer sans retenue les réveillons. Que Reiser représente un soir de jour de l’an comme une orgie bourgeoise aussi honteuse que débridée, ou que Desproges insiste sur l’impudence d’une telle prolixité culinaire face aux enfants affamés du Tiers-Monde, l’objectif est bien le même : mettre le nez du Français dans sa propre truffe. Le procureur du Tribunal des Flagrants Délires ne faisait pourtant pas mystère lui-même de son goût prononcé pour la gastronomie, ou de ses lendemains de réveillon difficiles.
La trêve n’est pas non plus de rigueur lorsque la religiosité s’en mêle, non pour porter de grands idéaux mais pour satisfaire les plus basses revendications communautaristes, ou simplement asseoir avec virilité un positionnement politique. À juger par l’actualité récente, la sauvegarde des crèches dans les mairies devient un enjeu en soi. Et pas seulement chez les extrêmes, puisque même un Henri Guaino juge utile de voler à leur secours.
Est-il réellement scandaleux, dans une république laïque, qu’un symbole religieux aussi ostentatoire n’ait pas sa place à l’hôtel de ville ? On aimerait voir nos politiques plus prompts à s’émouvoir de la présence de demandeurs d’asile dormant à même le sol devant une préfecture du pays des Droits de l’Homme. Ceux-ci peuvent prendre leur mal en patience : dans deux mille ans, peut-être jugera-t-on enfin nécessaire de leur accorder une place au chaud. L’âne et le bœuf seront facultatifs.
Caries au bal du Diable
D’autres encore qui ne respectent aucune trêve d’aucune sorte : les confiseurs eux-mêmes. L’industrie du bonbon est florissante, en France comme dans le monde entier. Selon le site de statistiques mondiales Planetoscope, il s’en avale plus de 200.000 tonnes par an rien que dans l’Hexagone, ce qui représente un volume de vente annuel supérieur à un milliard d’euros.
Quant au chocolat, ce sont près de 400.000 tonnes qui sont consommées par les Français sur l’ensemble de l’année, avec un pic pendant les fêtes de Pâques et, naturellement, durant la période de Noël. Pas moins de 33.700 tonnes en 2008 écoulées durant la fin d’année.
Ce qui n’étonnera personne quand les rayons des supermarchés regorgent des pires tentations, qui feront autant grossir les panses que les comptes en banque des entreprises Nestlé ou Kraft Food – rebaptisé Mondelēz International, fatiguée sans doute d’être confondue avec le groupe de musique électronique Kraftwerk.
Trêve glacée
Enfin, la solidarité n’observe pas de trêve, elle non plus. Fondation Abbé Pierre, Banque Alimentaire ou, naturellement, Restos du Coeur ne relâchent pas leurs actions durant les fêtes, et cela d’autant plus que les rigueurs hivernales s’avèrent le moment idéal pour sensibiliser le grand public à la question de la précarité. La pauvreté tue cependant toute l’année, la misère n’étant pas moins pénible au soleil.
Et lorsque celle-ci ne cesse de s’aggraver, lorsque les inégalités ne font que progresser sous le regard indulgent d’une classe dirigeante qui semble juger plus aisé de l’accommoder légalement que de tenter d’y remédier, on peut craindre que la trêve des confiseurs ne finisse par aboutir, surtout, à une réelle déconfiture sociale. Avec toutes les conséquences que cela suppose. Et qui ne manqueront pas de nous laisser chocolats.