La guerre d’Algérie, son indépendance, l’immigration, la révolte sociale, les relations père-fils, l’extrémisme religieux et l’amitié sont au programme de cette très belle bande dessinée d’une grande richesse.
Nouredine, fils de Lounès, kabyle arrivé en France après la guerre d’Algérie, est persuadé que son père est un lâche. Son silence nourrit la rage d’un Nouredine en pleine crise identitaire. Révolté, le jeune homme se complait dans une certaine victimisation de son statut de « sale bougnoule ». Tout comme son ami Gianni, fils d’immigré italien arrivé un peu plus tôt que lui en France, il travaille aux chantiers navals de Saint-Nazaire. Gianni est marié à Samia, la sœur de Nouredine. Très liés, alors que la grande crise ouvrière les frappe directement, les deux hommes s’improvisent leaders syndicaux. C’est dans ce contexte difficile que Nouredine va peu à peu se radicaliser…
L’ouvrage est construit à la manière d’un « montage parallèle » au cinéma : l’alternance de séquences à des époques différentes, dans des lieux différents, avec des protagonistes différents ou parfois identiques mais à une autre période. L’histoire nous est donc livrée de manière parcellaire, on apprend peu à peu et partiellement l’histoire d’un père qui conditionne le destin de son fils. Cette construction, très fréquente au cinéma, rend ici la lecture compliquée. Il n’est pas aisé de saisir immédiatement le contexte de chaque séquence d’autant que certaines scènes sont très laconiques.
Il s’agit pourtant d’un véritable roman graphique, dense et riche. Le dessin de Pierre Place, au demeurant magnifique, n’aide pas à se repérer dans ce puzzle : rien ne permet de différencier visuellement les époques, les couleurs sont identiques, les visages des protagonistes changent peu d’une période à l’autre. Il faut donc plusieurs lectures pour voir émerger peu à peu des évidences qui ne sont au départ que de vagues ressentis. Heureusement, le trait précis et expressif traduit parfaitement les émotions.
Un ouvrage magnifique, riche et marquant mais dense, qui nécessite plusieurs lectures pour en saisir tous les raffinements.
Le silence de Lounès
Scénario : Baru (Hervé Barula)
Dessins et couleurs : Pierre Place.
Chez Casterman, 136 pages, 20€