Né à la fin du 19e siècle, Robert Moses était un urbaniste très apprécié jusque dans les années 60. Il a, durant 40 ans, totalement façonné la ville de New York, souvent qualifiée de « plus belle ville du monde ».
Jeune homme brillant, intelligent mais aussi sportif, il vit mal son appartenance juive au sein d’un univers majoritairement protestant, ce qui lui vaut d’être souvent évincé des positions qu’il ambitionne de tenir. Décidé à se battre pour s’imposer, déterminé à imposer sa vision, il va peu à peu devenir un acteur majeur de sa ville en la métamorphosant radicalement. Adulé, qualifié de visionnaire, il va pourtant être décrié puis détesté pour sa vision «inhumaine» de la mégapole à partir des années 60. Grand apôtre du béton et du goudron, on lui reprochera de ne jamais s’être soucié de la qualité de vie des habitants, d’avoir donné une place démesurée aux automobiles et d’avoir négligé les plus modestes. Pour imposer sa vision, certains quartiers populaires furent rasés : « On ne peut pas supprimer les ghettos sans faire bouger leurs habitants et je salue le cuisinier qui saurait faire des omelettes sans casser des œufs. » aimait-il à dire. Bien entendu, les minorités afro-américaines déjà fortement stigmatisées et défavorisées furent les premières victimes de sa mégalomanie, aussi était-il soupçonné d’être raciste. Plus généralement, il semblait avoir un mépris prononcé pour les pauvres.
Sa popularité commença à décliner fortement après la parution du livre « Déclin et survie des grandes villes américaines » de l’activiste Jane Jacobs en 1961. Dans cet ouvrage, celle-ci va amorcer la chute de Moses et lui voler progressivement la vedette, critiquant avec virulence cette urbanisation moderne peu soucieuse de ses habitants dont il était aveuglement partisan. Son livre eut un grand retentissement et après sa publication, les projets de Moses commencèrent à être refusés les uns après les autres.
Il s’agit d’un roman biographique illustré plaisant et facile d’accès qui nous fait découvrir Robert Moses et Jane Jacobs d’une manière originale. On a envie d’aller plus loin et d’en savoir plus sur cet homme, ses réalisations, sa vision. Se déroulant sur une période d’environ 60 ans, l’ouvrage prend évidement des raccourcis, mais on est bien loin d’une biographie rébarbative, d’autant que les peintures de la ville sont fort réussies. Les grandes réalisations de Moses, comme le pont Pont Verrazano-Narrows, y sont croquées de manière épurée mais fidèle à la réalité. Au fil de l’histoire, parce qu’il s’agit bel et bien d’un récit historique utilisant les ressorts du roman, c’est un voyage au coeur de New York qui nous est offert, avec des vues aériennes, des plans larges, des détails. Jamais complaisant, le livre ne nous présente pas Robert Moses comme le génial créateur qu’il était sans doute, mais comme le témoin d’une époque révolue et aujourd’hui largement contestée où l’urbanisme versait dans la démesure, où l’on était plus soucieux de l’aspect fonctionnel et esthétique que de la vie des habitants. En annexe, comme pour susciter encore davantage la curiosité, des ouvrages de référence sont cités ainsi qu’une carte des réalisations de Robert Moses, nous permettant de mesurer d’un coup d’oeil l’ampleur de son empreinte sur « Big Apple ».
Robert Moses. Le maître caché de New York
Pierre Christin et Olivier Balez
Editions Glénat, Collection 1000 Feuilles
104 pages, 22€