Alpha, jeune ivoirien, veut gagner la France pour y rejoindre sa femme et son jeune fils. Mais pas d’avion pour les clandestins : sa traversée de l’Afrique sera un périple long et éprouvant.
La grande traversée
« À Abidjan, à Bamako, à Gao, on voit des touristes. Des Américains, des Français, des gens contents qui font le tour de l’Afrique à vélo. » Des gens à qui l’on n’a pas demandé une myriade de papiers dûment remplis, ni de justificatifs de ressources. Des gens qui sont arrivés en avion, qui repartiront de la même manière, quelques heures de vol aller-retour, un infime morceau de leur vie.
Pour Alpha, débouté de ses demandes, le voyage durera plus d’un an. Depuis la Côte d’Ivoire en passant par le Mali, par le Maroc, dans le but d’enjamber enfin la Méditerranée et de retrouver sa famille dont il n’a aucunes nouvelles. Il faudra faire avec les passeurs plus ou moins escrocs, dans des véhicules de fortune, en traversant le désert, en oscillant de squats en bidonvilles, en acceptant tous les petits boulots qui se présentent.
C’est cette aventure que racontent Bessora et Barroux, ce pèlerinage absurdement dangereux que parcourt Alpha et ses compagnons, dont certains disparaîtront en cours de route. La France, on ne la verra pas : elle reste cet objectif qui, tel l’horizon, s’éloigne à mesure que l’on avance dans sa direction. Cependant, l’envie ne faiblit pas. La traque non plus. Sous la pression de l’Europe, les pays d’Afrique du Nord chasse sans relâche le clandestin. Ce qui n’empêche pas certains de leurs citoyens, comme dans tous les pays du monde, de savoir faire preuve de solidarité.
L’Histoire en marche
Il y a quelque chose de frénétique, d’enivrant aussi dans ce récit qui raconte l’envers du décor, le voyage qui précède le statut de « sans-papiers », quand ce n’est pas celui de cadavre repêché sur les côtes italiennes. Et l’on comprend les prises de risque, le désespoir qui les conditionne, au sein d’une misère et d’une absence d’avenir qui pousse tant d’hommes et de femmes à fuir le pays qui les a vu naître mais n’est plus en mesure de les nourrir.
L’ouvrage rebutera peut-être certains dans ses choix graphiques, mais le trait de Barroux, faussement imprécis, faussement grossier aussi, illustre au mieux cette aventure qui nous convie aux frontières d’une Afrique inédite, sombre et nocturne, peuplée de visages amicaux ou non qui se confondent dans un même rêve d’avenir.
Jamais misérabiliste, toujours humain, Alpha raconte ces hommes africains qui ne cessent d’entrer dans l’Histoire. N’en déplaise à celles et ceux qui s’en prétendent gardiens, et n’en sont que portiers.
Alpha, Abidjan – Gare du Nord
De Bessora et Barroux
Éditions Gallimard
128 pages, 20,90 €