Faire travailler tous ces pauvres qui viennent jusque dans nos bras égorger les finances publiques ? Le discours est connu au Café du Commerce. Il est dommage qu’il devienne programme.
Assistanarama
Le « contrat d’insertion » de 7 heures par semaine pour les bénéficiaires du RSA préconisé par Nicolas Sarkozy est-il une fausse bonne idée, ou une vraie mauvaise idée ? Le Bon Plan a choisi de dépasser le cadre de la provocation que sous-tend cette proposition pour se demander, en dix points, pourquoi cette prétendue solution contre le non moins prétendu « assistanat » n’en est pas une.
Du point de vue juridique
On peut se plaindre du carcan juridique à la française, ou de son droit du travail trop exigeant aux yeux du Medef. Ce serait oublier un peu vite qu’il constitue précisément ce qui fait de notre pays un État de droit, et qu’il permet quelquefois encore la victoire de David contre Goliath.
1. LE RSA N’EST PAS UN REVENU
En travaillant 7 heures par semaine, donc 28 heures mensuelles, le titulaire du RSA en contrat d’insertion devrait être rémunéré environ 280 euros par mois sur la base sur le SMIC horaire. Un montant qui représente un peu plus de la moitié de l’allocation RSA. Cette somme doit-elle être considérée comme un revenu, et prise en compte comme telle pour le calcul, par exemple, des indemnités retraite ?
2. LES MÊMES DROITS POUR TOUS
Le salarié en contrat d’insertion en est-il un ? Autrement dit : peut-il jouir des mêmes droits qu’un salarié « normal », que sont entre autres le droit de se syndicaliser ou de faire grève ? Ou est il à la merci de son employeur, contraint de tout accepter sous peine de se voir privé de ses allocations sur simple signalement ?
3. LE TITULAIRE N’EST PAS UN SOUS-EMPLOYÉ
Le contrat d’insertion une fois « signé », le travailleur au RSA aura-t-il droit à une visite médicale devant juger s’il est, ou non, capable d’exercer cet emploi ? Son travail hebdomadaire implique-t-il des congés payés, ou devra-t-il exercer ses sept heures par semaine jusqu’à sa sortie du dispositif RSA ?
Du point de vue pratique
Nicolas Sarkozy, il n’est pas le seul, a tendance à surestimer la fonction conative du langage. Autrement dit : il considère que la parole suffit à créer l’action. Mais il ne suffit pas d’ordonner aux personnes de trouver du travail, pour soi ou pour les autres : encore faut-il que ce travail existe !
4. TROUVER LE TRAVAIL
Pour que les personnes au RSA travaillent, il faut avoir quelque chose à leur faire faire. Les besoins sont-ils assez nombreux ? Qui va se charger d’inventer du travail à fournir à tous ces allocataires RSA ? Ne faudra-t-il pas créer un poste juste pour organiser et gérer une telle main-d’oeuvre ?
5. UN CONTRAT AU DÉTRIMENT DES AUTRES
C’est l’argument qui revient le plus souvent, parce que le plus évident : à raison de 7 heures par semaine, cinq bénéficiaires du RSA en contrat d’insertion représentent un temps plein de 35 heures. Quels emplois seront détruits, ou ne seront jamais créés le jour de l’apparition des besoins, si l’employeur dispose d’une main-d’oeuvre gratuite pour effectuer certaines de ses besognes ?
6. UNE MAIN-D’OEUVRE GRATUITE
Quel sera-t-il, cet employeur ? On pense naturellement aux collectivités, mais lesquelles ? Le Conseil départemental va-t-il généreusement fournir aux communes ou aux régions les services des allocataires RSA qu’il prend en charge ? Et les entreprises ou les associations pourront-elles, elles aussi, bénéficier de ces employés qu’il n’est pas besoin de rémunérer ?
7. QUAND ON NE PEUT PAS
Un certain nombre de titulaires du RSA ne sont pas en mesure de travailler, pour des raisons physiques, psychologiques ou autres. Faudra-t-il créer une nouvelle catégorie de RSA pour ces profils précis ? Un « RSA d’invalidité » serait aussi discriminant que compliqué à gérer. Les personnes en contrat d’insertion pourront toujours travailler à l’usine à gaz ainsi créée.
Du point de vue éthique
En pourfendant l’« assistanat », Nicolas Sarkozy et ses séides posent le débat sur le terrain moral, en laissant entendre que le RSA est un nid à profiteurs. On ne s’étendra pas sur la grande moralité des exilés fiscaux, qui coûte bien plus cher à la France que la fraude aux allocations, mais l’on s’interrogera sur la moralité même du contrat de travail RSA proposé ici.
8. LA RHÉTORIQUE DE LA PUNITION
Ce contrat d’insertion ressemble à s’y méprendre aux travaux d’intérêt généraux auxquels sont quelquefois condamnés les contrevenants à la loi. La stigmatisation et la punition des bénéficiaires du RSA est-elle une réponse adaptée, à moins de considérer que le miséreux est forcément responsable de sa misère, et que chaque pauvre n’est jamais qu’un riche trop paresseux pour le devenir ?
9. LA VALEUR TRAVAIL
Quelle valorisation du travail trouve-t-on dans cette mesure lorsque la personne au RSA se voit considérée comme une main-d’oeuvre attractive à partir du moment qu’il n’est plus besoin de la rémunérer ? De plus, ne sera-t-elle pas tentée de considérer son RSA comme un salaire en échange de son travail, la démotivant d’autant plus à s’insérer ou se réinsérer professionnellement ? Une mesure similaire adoptée en Allemagne, et très impopulaire, semble le confirmer : loin de motiver à la reprise de l’emploi, on installe le précaire dans sa précarité.
10. DEUX POIDS, DEUX MESURES
Pourquoi considérer que seul le titulaire du RSA doit-être concerné par ce contrat ? Si certains députés UMP portent l’idée d’y inclure également les chômeurs de plus de six mois, d’autres allocations sont étrangement mises hors de cause. Mais pourquoi ne pas faire travailler les retraités dont la retraite s’éternise impudemment ? Pourquoi les allocations logement, ou encore la CMU, ne devraient-elles pas être « remboursées » par leurs bénéficiaires ?
Certes, la réponse est dans la question : la volonté est avant tout de stigmatiser, de diviser pour mieux régner sur un pays où la haine de l’autre semble devenir un sport national. Fort avec les faibles, faible avec les forts, Nicolas Sarkozy applique avec soin les préceptes d’une idéologie libérale et darwinienne qui n’a, en réalité, jamais fait ses preuves.
Un parti-pris d’autant plus surprenant qu’il renverse totalement l’esprit même du RSA, censé rapprocher les précaires de l’activité et de l’insertion. L’ancien Président vient ainsi confirmer la sentence de Jonathan Swift qui, en bon observateur des mœurs humaines, écrivait que « rien n’est constant que l’inconstance »…
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