Tous nos noms, le roman événement de Dinaw Mengestu, oscille entre Amérique raciste et Afrique troublée, entre scènes touchantes et révoltantes, dans l’histoire des mystérieux Isaac(s).
Ouganda, début des années 1970. L’indépendance est bien arrivée jusqu’à la capitale Kampala, et son université, dix ans auparavant, a accueilli une grande conférence de penseurs anglophones. Un narrateur encore jeune arrive d’un pays voisin comme étudiant, ou du moins essaye de passer pour un. La même chose pour cet autre jeune homme se faisant appeler Isaac. Ces deux deviendront amis et tenteront de réinventer l’Afrique à leur échelle.
À côté de ça, milieu des seventies, dans le Midwest des États-Unis encore fortement raciste, Helen raconte sa rencontre et sa liaison avec un étudiant en échange venu d’Afrique. Il dit s’appeler Isaac, mais qui est-il vraiment ? Dinaw Mengestu nous livre un roman personnel et profond, teinté de mystères, de vérités contraires et de sentiments bousculés.
Parallèles croisés et croisements cachés
Le récit alterne à chaque chapitre entre les histoires d’Isaac et d’Helen. Dans les sections Isaac, on voit l’histoire de ces deux amis et leur destin dans un Ouganda au bord de la guerre civile. Dans les chapitres Helen, la jeune assistante sociale du Midwest détaille ses jours passés avec Isaac dans un pays pour qui la ségrégation n’est pas encore une aberration.
Ces deux histoires se répondent. Il y est question d’un « étranger » anonyme. Leurs passés individuels perdent leur importance et ils se tournent vers le présent et le futur. L’Isaac africain est ambitieux, alors que le narrateur est plus anxieux. L’Isaac des États-Unis, lui, profite de son pays d’accueil si différent du sien. En ce qui concerne Helen, elle rêve d’un futur où elle peut être et faire ce qu’elle veut.
Chacun des personnages lutte pour s’affranchir du mal qui les ronge, que ce soit dans les universités ougandaises ou dans le Midwest rural américain.
Non de noms
Un nom… Le narrateur des chapitres Isaac n’en a pas, ni Isaac lui même, seulement des surnoms. Helen, quant à elle, doute de la véracité du prénom d’Isaac, personnage mystérieux et renfermé. Ils se donnent des noms pour se définir, et changer de nom, c’est peut-être transformer les histoires et mensonges en vérité.
Dans ces mondes hostiles, en guerre ou racistes, Dinaw Mengestu parle aussi des relations amoureuses ou amicales, de combien elles sont importantes pour avancer. De là, certaines scènes du quotidien, certains acquis prennent une autre envergure, et chaque geste est accompagné d’une pensée, qu’elle soit claire ou confuse. C’est là un roman plein d’une émotion sincère, qui va droit au cœur.
L’honnêteté est le maître mot, et Dinaw Mengestu délivre dans Tous nos noms un récit émouvant, bouleversant, dans un monde intolérant et injuste. Mais un espoir persiste : l’autre, l’ami ou l’amant, pourra toujours nous tirer vers le haut.
Tous Nos Noms
de Dinaw Mengestu
Traduit de l’américain par Michèle Albaret-Maatsch
Collection « Terre d’Amérique »
Éditions Albin Michel
317 pages
21,50 €