Avec la bande dessinée Martin Eden, adaptée du roman éponyme de Jack London, nous plongeons dans le récit autobiographique de l’écrivain, la quête d’un rêve qui finira par lui brûler les ailes.
Le désir d’apprendre
Cela commence par une invitation : Martin Eden, jeune marin d’Oakland, est invité à dîner dans une maison bourgeoise, après avoir défendu Arthur Morse, un homme de classe aisée, lors d’une rixe. C’est là qu’il rencontre Ruth, la sœur d’Arthur : une jeune femme délicate dont il tombe instantanément amoureux.
Pour séduire la demoiselle lettrée, Martin décide de s’instruire. Avec un appétit féroce, il se met à lire et à emmagasiner des connaissances en poésie, science, philosophie… On le voit dans la petite chambre vide qu’il loue à sa sœur, assis sur son lit, des livres s’entassant tout autour. Puis à la bibliothèque, furetant dans les rayonnages ou demandant conseil sur les bonnes manières pour parler à une dame.
Des couleurs franches aux émotions affleurantes
Les couleurs peintes sont franches, le dessin volontairement simplifié : ce n’est pas le décor qui a de l’importance, mais les expressions des personnages, leurs ressentis. L’économie de fioritures de la description des environnements dans lesquels gravite le héros apporte une certaine austérité au récit en contrepoint du propos passionné de Martin Eden.
Dans le calme, qui confine à l’inertie, de l’appartement des Morse ; Ruth, en robe blanche à col d’écolier et chignon sage, explique la grammaire à un Martin faussement posé : « Elle était là, si accessible. Ses cheveux blonds caressaient sa joue, c’est à peine s’il pouvait respirer. Tout le sang de son cœur lui sembla bondir à sa gorge, prêt à l’étouffer. »
En manque d’argent, le jeune matelot doit repartir en mer : on le retrouve, accoudé au bastingage d’un navire, rêvant d’écriture dans les couleurs flamboyantes du soleil, avant qu’il ne décline. C’est dans ces teintes chaudes ou froides, que l’image prend sa force. Dans ces contrastes de luminosité et de couleurs.
Des échecs à l’ascension fulgurante : une trajectoire heurtée
De retour à Oakland, Martin va s’essayer à l’écriture, il regorge d’idée de récits issus de ses nombreux voyages. Convaincu d’intégrer l’École Supérieur par Ruth, il va échouer aux examens d’entrée, ses premiers écrits étant par ailleurs refusés par les maisons d’Édition. C’est alors qu’il décide d’apprendre seul.
Et l’histoire se poursuit, du travail d’écriture aux travaux harassants dans une blanchisserie, parce qu’il faut bien survivre ; de l’amour de Ruth très vite conditionné à l’obligation pour Martin de se ranger à son milieu. S’ensuit la séparation, le retour vain aux docks : « Il devait se rendre à l’évidence, il n’était plus de ce monde. Ni philosophe, ni ouvrier, ni bourgeois. Qu’était-il donc ? Si ce n’est une sorte d’étranger à la vie… »
Et puis, soudainement, le succès vient. Encore hier, pauvre âme errante et méconnue, Martin devient la coqueluche des médias et des bourgeois. Mais, pour lui, ce succès fulgurant a le goût de l’amertume, celui de la prise de conscience de l’hypocrisie de ce monde. Et le récit s’achève dramatiquement, dans la veine romanesque qui le traverse tout du long.
Denis Lapière raconte avec justesse l’histoire d’une naissance à soi-même et la clairvoyance qui en découle, tandis que les peintures d’Aude Samama rehaussent le récit des émotions affleurantes. Un conte d’hier et d’aujourd’hui, de nos contradictions et de notre condition humaine.
Martin Eden, d’après le roman de Jack London
Denis Lapière et Aude Samama
Editions Futuropolis
176 pages
24 €