À 38 ans, Laurie Chambon a vécu plusieurs vies : du détricotage des stéréotypes sexués à l’écriture des récits de vie des demandeurs d’asile, rencontre avec une femme engagée.
Fine et souriante, la voie claire et posée, Laurie Chambon est tout sauf une femme fragile. Plutôt une femme décidée à faire reculer les inégalités, celles entre les femmes et les hommes, entre les pays du Nord et du Sud…
Avec un grand-père ouvrier italien, logé en baraquement alors qu’il participait à construire la France et des parents engagés dans la vie associative, Laurie Chambon grandit dans un univers où elle a conscience que manger à sa faim et être logé n’est pas donné à tous – un univers aussi où le père s’occupe beaucoup des enfants au même titre que la mère, un modèle de fonctionnement qui lui paraît aller de soi – même si c’est loin d’être la norme à l’époque.
L’esprit de coopération
En grandissant, l’adolescente s’intéresse à l’économie, celle qui met l’humain au centre. Son bac ES en poche, elle intègre Sciences Po Grenoble qui met l’accent sur l’économie sociale et solidaire : « C’était un espace propice aux échanges, on confrontait nos points de vue, il y avait une émulation intellectuelle. » Et elle en profite pour partir à Vancouver au Canada, dans le cadre d’un échange international. Là, elle découvre une manière différente d’aborder les inégalités entre les femmes et les hommes : « J’avais l’impression que les hommes étaient plus intégrés dans ces questions, car eux-aussi pouvaient être enfermés dans des clichés sexistes. » Cet esprit de coopération va durablement s’inscrire dans son parcours.
À l’opposé du dogme
De retour en France, elle obtient un DESS « gestion des ONG humanitaires » pour « agir contre les inégalités entre pays du Nord et du Sud et partir découvrir ce qui est loin de mon quotidien ». Embauchée au Comité de Liaison des ONG de volontariat (CLONG), elle va coordonner un collectif d’une douzaine d’associations pendant six ans. Loin d’une vision dogmatique de l’aide à l’international, son travail consiste à faire avancer les questions d’éthique et promouvoir le volontariat comme un partage de compétences, un échange réciproque.
Agir concrètement
Le CLONG est basé dans le 10e arrondissement de Paris qui abrite alors de nombreux exilés, notamment afghans : « Tous les jours en allant travailler, je voyais ces exilés totalement démunis. Ces personnes qui avaient parcouru des milliers de kilomètres pour venir en Europe, qui avaient laissé derrière elles leur maison, leur famille, avaient fui la guerre et les exactions, qui se retrouvaient là dans une immense misère, sans toit, sans droits. »
Laurie Chambon ressent alors le besoin d’agir plus directement en France. Elle revient à Grenoble et s’engage bénévolement à l’association Accueil Demandeurs d’Asile (ADA) : « Je connaissais les conventions de Genève et le droit humanitaire international, les personnes me racontaient leur histoire, je devais faire le lien entre les deux pour mettre en évidence le fait qu’elles n’avaient pas d’autre choix que fuir leur pays pour rester en vie. » Une mission qui nécessite de faire parler les personnes sur des vécus très douloureux : « On se rend compte à quel point l’humain peut développer des trésors d’imagination pour torturer de façon ignoble d’autres êtres humains. »
Déconstruire les stéréotypes
Sa mission lui permet aussi de « brasser plein de cultures » et elle cherche à travailler dans ce domaine : sans succès, car elle n’a pas le bon diplôme, celui de travailleur social. C’est à cette époque que La Métropole et la Ville d’Échirolles recherchent un(e) directeur(trice) pour la Maison pour l’égalité Femmes Hommes. Laurie Chambon postule alors et va diriger la structure pendant quatre ans. Elle se retrouve immédiatement dans l’esprit de la maison : « On cherchait des leviers très concrets. On réfléchissait à des façons d’aborder le thème, qui ne soient pas culpabilisantes mais ancrées dans la vie des gens. En anthropologie, les univers féminins et masculins se construisent autour d’oppositions : dedans/dehors, émotion/réflexion, passivité/activité… Pour un homme, faire le choix de se diriger vers l’univers du féminin, c’est être moins reconnu et valorisé. Hommes ou femmes, nous avons tous à gagner à déconstruire les stéréotypes sexués, donner à chacun la possibilité de faire ses proches choix en toute liberté, loin des étiquettes ».
Servir l’intérêt général
En dirigeant cette structure publique, Laurie Chambon découvre le monde des collectivités territoriales et passe un concours pour devenir fonctionnaire. Un statut qui lui permet aujourd’hui de travailler au Service de la coordination générale de la Ville de Grenoble. Elle répond notamment aux courriers d’habitants qui rencontrent des difficultés sociales afin de les orienter vers les relais associatifs et les interlocuteurs sociaux qui défendent l’accès aux droits pour tous.
Si Laurie Chambon est actuellement fonctionnaire, ce statut n’est pas pour elle une fin en soi : « Ce qui me motive, c’est l’intérêt général et les causes pour lesquelles j ‘ai envie de me mobiliser… ». Un électron libre donc, qui butine d’associations en collectivités, la solidarité.