Souvenez-vous… Nicolas Sarkozy, décembre 2006 : «Je veux, si je suis élu président de la République, que d’ici à deux ans, plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid». En 2011, Xavier Emmanuelli, président du Samu social de Paris, démissionne, les salariés du 115 sont en grève. État des lieux…
Des politiques publiques en faveur des sans-abri…
Si depuis le milieu des années 70, l’État a continuellement renforcé sa politique de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, pour l’urgence sociale tout commence vraiment en 1998 avec la loi d’orientation contre les exclusions. Celle-ci prévoit la création dans chaque département d’un dispositif de Veille sociale chargé de coordonner les acteurs de l’urgence et d’orienter les demandes d’hébergement.
En l’espace d’une décennie, ce dispositif connaît d’importantes évolutions, de la simple mise en place d’un numéro d’urgence, le 115, à l’organisation d’un véritable service public de l’hébergement et de l’accès au logement via la création en 2010 du service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO) piloté par la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS).
Parallèlement, l’hébergement d’urgence se transforme en profondeur. En quelques années (2007-2010), une avalanche de lois et circulaires modifie le concept d’accueil d’urgence. C’est le lancement du «chantier national prioritaire 2008 2012 pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées» impulsé par François Fillon. Le législateur étend la prise en charge des personnes sans domicile et leur donne de nouveaux droits. La loi DALO combinée au Plan d’action renforcée pour les sans-abri (PARSA) instaure deux grands principes :
l’inconditionnalité de l’accueil (toute personne en situation d’urgence sociale doit pouvoir bénéficier d’une prise en charge inconditionnelle et immédiate dans une structure d’accueil d’urgence) et la continuité de la prise en charge (toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y rester jusqu’à ce qu’une orientation adaptée lui soit proposée). Toute remise à la rue non souhaitée est donc désormais interdite. La loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre les exclusions de 2009 ajoute à ce principe celui d’un droit à l’accompagnement personnalisé des personnes accueillies dans ces structures.
Cette même année, le gouvernement décide d’aller encore plus loin et lance la refondation du dispositif d’hébergement (2010-2011) dont l’objectif est de replacer les personnes au centre du dispositif en prenant mieux en compte leurs besoins et en leur apportant la solution la plus adaptée. Priorité est donnée à l’accès au logement, y compris pour les publics les plus vulnérables.
… à leur mise en oeuvre en Isère
La mise en place de la Veille sociale connaît, depuis l’origine, de grandes disparités entre départements. L’Isère a cette particularité d’avoir toujours eu un important réseau associatif et des réponses en matière sociale extrêmement riches. Dès 1998, il s’est donc appuyé sur les compétences et savoir-faire de chacun, professionnels et bénévoles d’associations caritatives. Deux SIAO sont créés. Dans le cadre de la Veille sociale, le SIAO Urgence est confié à l’association Relais Ozanam. Il assure la coordination avec le SIAO Insertion, géré par l’Observatoire de l’hébergement et du logement.
Parmi les missions du SIAO Urgence, les activités du 115 et des équipes mobiles de rue occupent une place centrale dans l’observation des mécanismes de l’urgence sociale et des phénomènes de l’exclusion.
Le 115
Le 115 assure les permanences téléphoniques tous les jours de l’année 24h sur 24, grâce à deux équipes (de jour et de nuit). Les écoutants du 115 informent sur tout ce qui a trait à la vie quotidienne : se nourrir, se vêtir, dormir, faire valoir ses droits… mais leur activité principale reste l’orientation des personnes vers les structures d’urgence. Le 115 assure aussi une mission essentielle de veille auprès des personnes à la rue en lien avec les équipes mobiles et autres partenaires (police, gendarmerie, pompiers, SAMU). Il se doit d’alerter sur des situations particulières de personnes en danger. C’est plus qu’une simple plate-forme téléphonique. Le travail d’écoutant permet de recréer du lien (pour certains appelants, le seul qui soit) et des repères. Enfin, le 115 est un lieu d’observation, de recueil de données statistiques et d’alerte sans lequel le SIAO ne pourrait remplir ses missions.
Les équipes mobiles de rue, les maraudes ou Samu sociaux
Le Dispositif mobile 115 de l’agglomération grenobloise repose sur un multi-partenariat extrêmement efficace, c’est une spécificité iséroise, et fonctionne tout au long de l’année. Trois modes d’intervention coexistent permettant d’être opérationnel 7 jours sur 7, de 8h30 le matin à 2 3 heures le lendemain matin et de proposer des interventions adaptées aux situations :
• Les maraudes (ou Samu sociaux) , structures véhiculées et spécialisées, organisées en tournées. Trois maraudes circulent sur l’agglomération sur appel du 115, le cas échéant, selon un parcours pré-établi.
• Les «aller vers», à pied ou à vélo, sillonnent les rues de Grenoble, qu’on les appelle ou pas.
• Les astreintes, uniquement sur appel du 115.
Un constat alarmant
Ce programme ambitieux, inscrit dans la loi, pourrait laisser croire (une fois dépassée la nécessaire phase d’ajustement des structures aux nouvelles dispositions légales) que les SDF verraient leur sort et leur avenir s’améliorer. Hélas, professionnels et bénévoles s’inquiètent d’une situation qui se dégrade d’année en année, au point qu’ils craignent de ne plus pouvoir remplir leur mission. Les restrictions budgétaires qui touchent le secteur social sont d’autant plus drastiques pour l’hébergement d’urgence que la logique de la refondation privilégie l’accès au logement. Les places d’hébergement manquaient déjà cruellement alors que la demande avait explosé depuis la mise en place du 115, la fermeture de structures existantes creuse encore l’écart entre la demande et l’offre. Dans le contexte d’une crise économique qui s’accentue, de plus en plus de personnes se retrouvent sans domicile, à la rue ou en centres d’hébergement. Sur fond de crise persistante du logement, l’application du principe de continuité provoque l’engorgement des structures sur toute la chaîne de l’hébergement et du logement social et une quasi-absence de mobilité des personnes. Actuellement, le 115 n’a plus d’orientation à proposer aux demandes d’hébergement qu’il reçoit. Le droit au logement pour tous restera un voeu pieux tant que l’État n’aura pas une politique du logement à la hauteur des vrais enjeux et tant qu’il ne donnera pas aux dispositifs qu’il a créés les moyens de fonctionner. Aujourd’hui des lois existent qu’on ne peut appliquer. Les Samu sociaux vont-ils encore devoir assister comme l’hiver dernier à ces scènes dramatiques de familles accompagnées d’enfants, contraintes de dormir dans la rue ?
Quelques chiffres (source, SIAO Urgence)
Appels du 115 :
750 en 2000 29 553 en 2010
Hébergement 2010 :
146 places pérennes
12 649 demandes d’hébergement (+ 51% en 5 ans)
6 288 non orientées faute de place
Période hivernale 2010-2011 :
1 370 personnes non orientées (951 adultes, 419 enfants)