Alexandre Keto, jeune artiste brésilien, est la preuve qu’avec beaucoup de passion et suffisamment de talent, on peut réaliser des choses extraordinaires. Sa démarche consiste à associer son travail artistique au travail social notamment avec des jeunes et d’en faire un outil d’expression et de communication. Le vernissage de son exposition aura lieu mercredi prochain à Paris.
Alexandre vient d’une famille où la pratique artistique n’est pas exceptionnelle : certains font de la peinture, sa mère chante. Lui-même pratique le dessin depuis tout jeune et le vrai déclic ne se fait pas attendre : son frère lui fait découvrir le graffiti. En fait, au Brésil, le graffiti est légal, et donc très présent : un vrai moyen d’expression dans l’espace public. Au début, il aide son frère, plus tard, il commence à réaliser ses propres créations. Jeune, il participe aux ateliers artistiques dans le cadre de projets sociaux. Il découvre que l’art permet aux jeunes de s’exprimer, de canaliser des émotions et de donner du sens à leur temps libre.
Nous l’avons rencontré à Grenoble :
Alexandre, en regardant tes œuvres, on se rend compte que tu as un sujet de prédilection : la figure africaine. D’où t’est venue l’inspiration ?
En graffiti, généralement, tout le monde fait les tags. Donc moi aussi, j’ai commencé comme ça et rapidement j’ai trouvé ça « nul » parce que chaque week-end je faisais la même chose. Un jour, j’ai donc fait le portrait d’un ami qui est noir. Il était très content et moi aussi. Ensuite j’ai continué à peindre les gens qui étaient autour de moi.
J’avais beaucoup d’inspiration parce qu’au Brésil, la société est vraiment mixte. Dans ma famille, par exemple, il y a des espagnols, des européens, des africains : il y a tout. Et il y une contradiction entre la rue qui est mixte et la télé, où tu ne peux pas voir de noirs. Tous les animateurs sont blancs, ou presque. C’est pourquoi j’ai aimé peindre ce qui m’entourait pour montrer que ces gens sont bien là.
En fait, on peut dire qu’on est assez formaté par rapport à certaines choses. On peut dire qu’il existe des règles d’esthétique restreintes au Brésil. Et mon objectif, c’est d’élargir cette vision des choses et de montrer que la mixité est belle. |
Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
J’ai déménagé à la campagne, dans le nord de São Paulo et je me suis rendu compte qu’il n’y avait ni graffiti ni projets sociaux. Donc je m’y suis mis tout seul. J’ai commencé sur mon temps libre, le week-end, mais le maire a vu ce que je faisais, il a aimé et il m’a proposé un travail à la mairie. Je devais développer le travail social, cette fois-ci officiellement. Donc j’ai eu le temps pour rédiger les projets, demander des financements et ç’a très bien marché.
J’ai eu le choix : ou il se passe rien, ou je fais les projets moi-même. Donc j’ai choisi de le faire seul. Et comme il ‘y a beaucoup d’intérêt dans ce que je propose, ça n’a pas été trop dur de trouver des partenaires pour le financement. Maintenant, quand tu regardes cette ville, il y a plein de graffiti parce que d’autres personnes sont venues après moi. |
Ensuite je suis revenu à São Paulo et j’ai travaillé pour une association, dans un refuge destiné aux anciens détenus. J’ai coordonné les activités culturelles. Je parlais aux gens, je les écoutais, on faisait des graffiti, de la capoeira… Entretemps, notre association est devenue référence au Brésil pour ce type de travail. En 2011 il y a eu le Forum social mondial à Dakar, au Sénégal et mon chef m’a envoyé là-bas pour voir comment ça se passe dans ce domaine à l’étranger.
… Mais j’y ai aussi rencontré un groupe de rap … Et c’est là où tout a commencé… À la fin du forum, je suis rentré au Brésil mais au bout de 3 mois, je suis retourné au Sénégal, ensuite je suis allé en Allemagne, au Ghana, en Mauritanie… En fait, soit on m’invite, soit je me propose moi-même. Si ça marche, j’y vais, je travaille mes œuvres et en même temps je fais des ateliers pour les enfants, pour les jeunes. C’est très bien. Je peux te dire que j’ai trouvé ma voie. (« my way »)
J’ai vu que tu voulais t’installer en Europe pour un moment ?
Oui. J’ai fait déjà beaucoup de travail au Brésil. Mais maintenant l’Europe est intéressante pour moi. Par exemple, mon travail est mieux reçu par le public ici. En fait, si je peins ce que je peins au Brésil, les gens vont aimer mais ça ne va pas dire grande chose pour eux, la culture noire n’est pas très diffusée là-bas, elle n’est pas connue. Mais ici, les deux cultures sont liées, c’est quelque chose que les Européens comprennent et réagissent. Aussi, je suis plus proche de l’Afrique donc j’ai une inspiration directe et bien sûr, je suis plus prêt pour continuer mon travail social.
Pour moi, l’art et le projet social sont indissociables. Si j’ai un peu de talent, ça veut dire que j’ai obligation de travailler plus que les autres pour que les gens puissent en profiter. Par exemple, si maintenant il y a un problème à Dakar, les gens de Dakar ne peuvent pas venir en France, mais moi je peux attirer l’attention à ce problème grâce à mon travail artistique. Ou je peux faire une exposition, vendre des œuvres et offrir le bénéfice à une association à laquelle je fais confiance. Je crée les ponts. Quand j’ai commencé au Brésil je ne pouvais pas imaginer que j’allais voyager autant, que j’allais apprendre le français. Donc je veux aussi donner de l’espoir aux gens que c’est possible. |
Tu n’es pas triste qu’au Brésil la culture noire soit moins diffusée qu’ici ? Que les gens ne comprennent pas toujours ce que tu fais ?
Mais non. Ce n’est plus tellement vrai en plus. C’est en progrès. En plus, j’ai déjà gagné une renommée donc les gens peuvent commencer à se dire : tiens, il y a un Brésilien qui habite en Europe et qui travaille en Afrique. Ça les fera réfléchir sur ce que je fais.
Je sais que tu as déjà fait du travail social à Grenoble. Comment cela s’est passé ?
L’année dernière, j’ai travaillé avec l’association Batouka VI à la Villeneuve… nous avons préparé des ateliers d’une semaine ou j’ai enseigné des techniques du dessin et du graffiti ou jeunes. Si tout va bien, on va remettre ça très bientôt.
En fait, j’essaie toujours de lier les deux choses, l’art et le projet social. Par exemple, pendant mon exposition à Paris, je vais faire un atelier de peinture. Et pareil quand on m’appelle pour me proposer une participation à un festival, je dis toujours : ok, mais est-ce que je peux faire aussi un atelier gratuit pour les jeunes ? Et généralement ça passe, les organisateurs sont contents… Chaque fois, j’essaie d’introduire le social dans l’art. |
Au niveau des techniques tu travailles comment ?
Je suis autodidacte, je n’ai jamais étudié le dessin… je fais des graffiti mais ma spécialité est le muralisme*. Je fais aussi les toiles. Et ces derniers temps, je m’intéresse au tissu traditionnel africain. Je peins dessus et je les intègre dans mes dessins, toiles ou graffiti.
Est-ce que tu as une technique préférée ?
Actuellement ce sont les tissus. En plus, personne ne fait ça, c’est vraiment une innovation et je suis plutôt fier de pouvoir perfectionner cette technique.
Peux-tu me parler de ton exposition à Paris ?
C’est même quelque chose de très mystérieux, j’ai rêvé de cet endroit avant donc quand j’ai vu la galerie, je me suis tout de suite dis que je connaissais ce lieu. Il y aura mes tableaux qu’on pourra acheter mais je vais aussi faire une démonstration de mon travail.
Quels sont tes projets pour les prochains quelques mois ?
Je prévois plusieurs choses à la fois. J’ai quelques projets à Bruxelles, au Danemark, un festival aux Pays-Bas en négociation et nous avons déjà fait une programmation avec Batouka VI pour continuer ce que nous avons commencé l’année dernière. Et je dois aussi retourner au Ghana.
*Muralisme = technique artistique qui consiste à réaliser des peintures murales, souvent à connotation politique ou concernant un sujet d’actualité
Plus d’informations sur le blog de l’artiste.
Toutes les photos proviennent des archives d’Alexandre Keto et sont publiées avec son autorisation.