« On s’embrassera quand même »
Parce que l’ironie parcourt ce livre de la première à la dernière page, c’est par souci d’autodérision qu’André Blanchard intitule le nouveau tome de son journal A la demande générale, lui qui sourit de ses deux mille lecteurs tout en soulignant que son éditeur s’en amuse beaucoup moins.
André Blanchard ne raconte pas d’histoire, ni d’histoires : à moins de concevoir ses pensées comme autant de fragments de vie. De son quotidien, Blanchard nous parle de cette galerie dans laquelle il officie et de ses chats qui, par malheur mais en grand âge, meurent l’un après l’autre. « Ce serait beau, et consolant, une espèce de paradis réservé à nos chats » écrit-il. Mais pourquoi juste une espèce ?
« Les lauriers empoisonnés »
Est-ce son amour des chats qui conditionne chez Blanchard son amour pour Léautaud ou pour Céline ? Il semble en tout cas que l’homme de lettres affectionne ces écrivains que l’on définit, à la va-vite, comme « maudits ». Féru de Barrès, passionné par le destin de Fontenoy, et cependant en studieuse admiration devant Proust. On lui pardonnera de qualifier Duras de « daube » en le voyant égratigner tant d’auteurs qui le méritent, ne serait-ce que coupables d’être trop encensés, tels Le Clézio ou Nourissier.
Mais quand il écrit que Houellebecq et ses Particules élémentaires n’auraient pas eu tant de succès s’il n’y « avait pas mis du cul, et un max », ne le surprend-on pas en flagrant délit d’optimisme ?
« Voilà ce que c’est de vivre trop longtemps »
Est-il tellement misanthrope, ce Blanchard qui aime tant les livres qu’il « dépile » ses lectures et offre à son lecteur l’envie de découvrir des ouvrages passés inaperçus ? N’est-ce pas une perversité de notre temps que de qualifier de misanthropie celui qui confesse aimer les chats et les livres ?
Blanchard, surtout, a le « spleen », et se soupçonne une allergie à la vie. Devoir se restreindre en matière de tabac n’améliore pas son vague à l’âme, mais offre à ses mots des aphorismes aiguisés et des formules heureuses, si l’on peut dire.
Il y a du Jaccottet dans cette plume, un sens de la sobriété qui confine à la modestie. Une musique que l’on retrouve au fil des pages, où l’existence se déroule avec mélancolie et où la mort n’apparaît plus comme une perspective effrayante, mais comme un aboutissement réconfortant. La mort, « c’est d’être enfin arrivé », nous dit Blanchard.
On lui souhaitera cependant d’atteindre, à l’image de ses chats, un âge avancé. Lorsqu’il reste tant de livres à lire.
À la demande générale
André Blanchard
Editions Le Dilletante