Loin des normes et des standards, ce qui ne l’empêche pas de séduire, Birdman est autant un grand film qu’un film « ovni », une œuvre qui ne ressemble à aucune autre.
Les oiseaux se cachent pour vieillir
Michael Keaton baigne en lévitation dans le silence d’une loge médiocre. Rare moment de calme d’un film tempétueux, où les egos et les passions vont se déchaîner en passant par toutes les étapes de la déraison, sinon de la folie. Bienvenue dans le monde des comédiens, du théâtre et de l’art : les nerfs sont à vif et le sang bout dans les veines.
Même si l’acteur principal de ce film virtuose s’en défend, il est difficile de ne pas établir un parallèle entre le personnage qu’il incarne et sa propre carrière. Lui qui a connu la gloire en incarnant Batman voilà vingt ans campe ici un acteur… ayant connu la gloire en incarnant Birdman voilà vingt ans. Et qui tente de revenir sur le devant de la scène en montant sur Broadway une pièce inspirée de l’écrivain Raymond Carver.
Si le propos n’est pas nouveau en soi – rappelons-nous Coups de feu sur Broadway de Woody Allen – le ton du réalisateur Alejandro González Iñárritu est pour sa part inimitable. À travers une succession de longs plans séquences se déroulent toutes les hystéries, tous les égocentrismes, toutes les catastrophes aussi qui découlent de cette périlleuse entreprise. Soulignés par une batterie folle qui donne à ce film une dimension jazzy qu’un Jack Kerouac aurait probablement adoré.
Un drôle d’oiseau
Iñárritu signe un film qui s’ancre profondément dans la réalité et la complexité des émotions humaines tout en s’offrant des minutes de haute voltige, dans tous les sens du terme. La poésie et l’onirisme ne sont jamais loin, jamais absents de cette œuvre, quitte à lui donner des teintes inquiétantes ou à s’engager sur la voie d’une malsaine rédemption. Sans jamais pour autant tourner totalement le dos à la lumière.
Birdman offre à rire autant qu’à réfléchir et propose, tout en maintenant un rythme endiablé et fascinant, de multiples grilles de lecture qui continueront à nous remuer les méninges longtemps après son générique de fin. S’il peut s’avérer par moments un peu trop démonstratifs, il est sans conteste une grande œuvre de cinéma, un film événement qui pose d’une manière simple des questions complexes.
Et sa consécration durant la cérémonie des Oscars ne fait que démontrer – une fois encore – l’engouement d’Hollywood pour les films qui parlent d’elle, en bien comme en mal. Trahissant, au-delà des paillettes ou des starlettes si complaisamment mises en scène, que l’industrie du cinéma américain s’incarne aujourd’hui dans une génération en quête de sens. Et qui s’autoriserait presque à douter.
Birdman
ou la surprenante vertu de l’ignorance
Réalisé par Alejandro González Iñárritu (2014)