1967, en période de plein emploi, l’ANPE est créée.
Les travailleurs cotisent sur leur salaire pour continuer à recevoir de l’argent en cas de chômage.
Emile, conseiller au Pôle emploi à Grenoble, témoigne : « le chômage, avant, c’était un droit. Chaque salarié cotise, il a donc droit au chômage, et petit à petit les gouvernements successifs ont mis en place de plus en plus de devoirs. »
Avec l’augmentation du chômage, le regard sur les chômeurs a changé, pour certains, le chômeur est une charge pour la société, il ne trouve pas de travail parce qu’il le veut bien, c’est un fainéant, etc. De victime de la crise, des licenciements il est devenu le seul responsable de sa situation, il doit donc se justifier.
En 2001, avec le PARE (voir ci-dessous), le chômeur doit signer un contrat, suivre un parcours vers l’emploi. Ainsi on individualise une situation, le chômage est moins un problème collectif qu’il faut tenter de résoudre qu’un problème personnel, une difficulté à s’insérer. L’échec devient un échec individuel, il est un refus, un manque de motivation du demandeur d’emploi qu’il faut alors sanctionner, le chômeur risquant la radiation… Denis Kessler qui a négocié le PARE pour le patronat, affirmait : « Il faut que le bénéficiaire d’un PARE ait peur des contrôles. D’où la création d’un nouveau mécanisme de sanctions. »
Emile : « Notre travail s’est transformé, avant le PARE il y avait déjà des restrictions, mais avec le PARE, ça a glissé, c’est-à-dire qu’on n’est plus trop dans le conseil, on est vraiment dans le contrôle ».
Cela implique un changement dans le rapport chômeur/conseiller. Le conseiller pouvait être là pour ouvrir des portes pour le chômeur désirant retrouver du travail, mais avec l’idée de contrat, le chômeur a un engagement vis-à-vis du conseiller qui peut alors le surveiller.
Emile : « on s’éloigne. Quand il vient nous voir, le chômeur pense toujours qu’il va trouver quelqu’un qui va pouvoir l’aider, sauf que nos directives ne sont plus vraiment de l’aider, c’est contrôler, c’est-à-dire radier… il y a des objectifs de radiation, le gouvernement est clair, il veut faire baisser les chiffres du chômage par tous les moyens. »
Emile : « En 2006 le suivi devient mensuel pour tous les chômeurs alors que beaucoup n’en ont pas besoin et on n’a plus le temps de faire du bon travail avec ceux qui en ont besoin. […] 6 mois après sa mise en place, il y a eu 15% de radiation en plus puisque le fait de convoquer tous les mois les demandeurs d’emploi, alors qu’on a peu de temps pour les aider, fait que les demandeurs d’emploi se lassent et ne viennent pas et l’absence à convocation vaut radiation. La lassitude fait qu’énormément de demandeurs d’emploi ne sont pas inscrits »
Automatisation des convocations, radiation sans que le conseiller puisse intervenir, profilage des chômeurs qu’on met « dans des petites cases » selon Emile qui poursuit : « Bientôt on va pouvoir mettre un ordinateur à notre place, il n’y a plus de raison qu’il y ait un humain si on n’est déjà plus dans la relation humaine… »
Cette idée de contrôle est aussi dans l’offre raisonnable d’emploi (ORE), selon Laurent Wauquiez secrétaire d’État chargé de l’emploi à l’époque : « Ce projet de loi sur ORE repose sur un engagement entre l’ANPE et le demandeur d’emploi afin de ne pas basculer dans le chômage de longue durée. L’ANPE prendra des engagements pour mieux accompagner le demandeur d’emploi en contrepartie de quoi celui-ci s’engagera à accepter une offre d’emploi raisonnable », la logique reste la même, on annonce aider le chômeur, mais il doit s’engager, sinon c’est la sanction, la fin des allocations.
Emile : « avec l’ORE on est vraiment dans une logique répressive de criminalisation, et aussi de casse des salaires. » Cela met les travailleurs du Pôle emploi dans des situations délicates.
Emile : « plus les directives politiques se durcissent, plus les agressions (contre les conseillers) augmentent, on est le premier rempart entre le gouvernement et le demandeur d’emploi […] travailler à l’ANPE, c’est schizophrène, il y a beaucoup de dépressions, c’est extrêmement difficile, on est tiraillé entre les directives d’un côté qui nous demandent des chiffres, qui nous demandent des indicateurs et on voit qu’en réunion de service ça fait des mois qu’on ne parle plus du chômeur […] et une pression qui vient des chômeurs dans le sens où on est pris entre le fait de vouloir aider sincèrement la personne et de ne pas être en capacité de l’aider. »
Le contrôle peut aller très loin, jusqu’à récemment : « Cette année, avec la circulaire Hortefeux, on a des lampes UV pour vérifier les papiers d’identité, et s’il est s’ils sont faux, on est censé dénoncer cela auprès de la préfecture, c’est très très grave, ça nous transforme en délateurs, ce n’est pas notre rôle. »
En 2009, la fusion qui accouche du Pôle emploi s’accompagne d’une part plus importante du privé dans l’offre d’emploi.
Pour le gouvernement : « L’objectif affirmé de cette fusion est non seulement de simplifier les démarches des demandeurs d’emploi en systématisant les guichets uniques, mais aussi de renforcer le suivi des chômeurs en diminuant le nombre de ceux dont doit s’occuper chaque conseiller » Actuellement, les conseillers suivent entre « 160 et 250 dossiers » d’après Emile, alors qu’il était prévu au départ qu’ils en suivent soixante. Bref, un engorgement qui complique le suivi. Face à cela le gouvernement a fait le choix de renforcer les opérateurs privés (qui pourront suivre jusqu’à 10% des demandeurs d’emploi).
« Tout ce qu’on peut sous-traiter, on va le faire », a déclaré Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi.
Pour Emile : « privatiser le service public de l’emploi fait que les opérateurs privés vont se récupérer tous les demandeurs d’emploi immédiatement employables, les plus opérationnels, diplômés, expérimentés, et tous ceux qui sont loin de l’emploi pour X raison, qui va les suivre ? […] le chômeur devient rentable, c’est une manne financière pour les opérateurs privés qui vont toucher plus de 4000 € par chômeur, alors qu’avec Pôle emploi cela coûte 780 €. »
Ces dix dernières années, les différentes politiques de l’emploi vont dans le même sens : renforcer la pression sur le demandeur d’emploi, pression qui ne peut qu’augmenter avec la logique de privatisation et de rentabilité qui accompagne la naissance de Pôle emploi. Le meilleur moyen de résoudre le problème du chômage est-il d’agir sur la demande plutôt que sur l’offre d’emploi ? N’est-il pas plus facile de stigmatiser les chômeurs que d’empêcher des licenciements et de partager le travail et les richesses ?
chronologie
2001 Le plan d’aide de retour à l’emploi (PARE) devient le projet personnalisé d’accès à l’emploi en 2006 : en contrepartie d’une amélioration de l’offre de formation, de la non-dégressivité des indemnités (qui sera remise en cause plus tard), le demandeur d’emploi signe un contrat avec l’ANPE où il s’engage à une recherche active d’emploi avec des objectifs qui, s’ils ne sont pas remplis, peuvent impliquer des sanctions.
2005 Plan Borloo, création des maisons de l’emploi, ouverture aux opérateurs privés, possibilité de sanctions graduées, création de nouveaux contrats aidés.
2006 Suivi mensuel personnalisé. Tous les chômeurs doivent voir leur conseiller une fois par mois, un refus ou une absence induit une radiation du chômeur de l’ANPE.
2008 Offre raisonnable d’emploi, le chômeur ne peut pas refuser deux offres d’emploi jugées raisonnables (par rapport à la distance et le salaire), sinon le demandeur d’emploi sera radié.
2009 Fusion ANPE/Assedic aboutissant à la création de Pôle emploi, en parallèle les opérateurs de placement privés sont de plus en plus sollicités.