Manu Larcenet revient dans les librairies avec Le Rapport de Brodeck, adaptation du roman de Philippe Claudel, apposant encore une fois sa signature sur un ouvrage incontournable.
Que la montagne est noire
Dans les camps, on l’appelait « le chien Brodeck ». À quatre pattes, tenu en laisse par ses gardiens et bourreaux. Les autres prisonniers le méprisaient pour cela. Mais une fois la guerre terminée, Brodeck est redevenu humain, plus humain que quiconque dans ce petit village dont il se tient à l’écart. Le chien est devenu Diogène, Brodeck le (faux) cynique.
Et quand les villageois s’unissent pour assassiner L’Anderer, cet étranger qui avait élu domicile parmi eux et les terrifiait par sa seule différence, c’est à Brodeck qu’ils demandent de rédiger un rapport. Pour mieux dissimuler le crime, absoudre par les mots la faute qu’ils ont commises. Brodeck ne peut pas refuser, mais sa charge fait de lui – à son tour – une menace aux yeux des autres.
« Je comprends soudain le danger que cela représente d’être innocent au milieu des coupables… C’est en somme très proche d’être seul coupable parmi les innocents. » se dit Brodeck en étudiant sa situation. Il possède les mots. Il a le pouvoir de dire ou non la vérité, celle que plus personne ne veut voir en face.
Voyage au bout de l’humain
Sous les regards suspicieux et inquisiteurs, il cherche conseil auprès des quelques sages qu’il connaît. Mais qui peut lui venir réellement en aide ? Ni le vieil instituteur, ni le vieux curé – qui ne croit plus en Dieu depuis longtemps – n’ont assez d’espoir à lui soumettre. Ce monde continue à vivre après être mort. La peur est son dernier moteur.
En adaptant le roman de Philippe Claudel, Manu Larcenet dessine un univers hors du temps où le silence règne en maître, fidèle au style qu’adopte l’auteur depuis ces dix dernières années. Le village d’Allemagne qu’il dépeint et ses alentours enneigés, où les regards des animaux sauvages se nichent partout dans le creux des absences, prend des allures de monde post-apocalyptique. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : du retour impossible de l’humain dans le sillage d’une guerre inhumaine.
Étrange récit que ce premier tome, au rythme lent mais captivant, soutenu par des cases envahies d’ombres. L’ouvrage s’impose au lecteur, l’oblige à pénétrer cet univers tellement noir, tellement oppressant, et cependant nanti d’une beauté qui prend parfois des teintes surnaturelles. Un rêve autant qu’un cauchemar et une quête absurde qui nous amène, pages après pages, à nous interroger sur l’humanité. Le Rapport de Brodeck est un chef-d’oeuvre.
Le Rapport de Brodeck
de Manu Larcenent
Éditions Dargaud
160 pages, 22,50 €