En suivant la quête initiatique d’un jeune photographe du 19 ème siècle dans le grand ouest américain, Thierry Murat nous livre une œuvre humaniste d’une grande beauté. Étunwan, Celui qui regarde se révèle être un témoignage poignant sur le génocide amérindien.
1867, Pittsburgh aux Etats-Unis. Joseph Wallace jeune photographe en quête de nouvelles expériences, s’engage dans une expédition scientifique en route vers les immenses territoires de l’ouest et les montagnes rocheuses. Missionné au départ pour photographier les paysages traversés, sa rencontre avec une famille Sioux va profondément le changer. Surnommé Etunwan : Celui qui regarde, par la tribu Oglalas, Joseph n’aura qu’une hâte à son retour dans sa famille : repartir seul en terres indiennes photographier la culture de ce peuple profondément menacée par le génocide à venir.
Contemplation et Poésie
Pour sa première bande dessinée réalisée entièrement seul, Thierry Murat nous envoûte d’emblée par la beauté de ses dessins en bichromie : noir épais et teinte majoritairement sépia. Les jeux d’ombres et de lumières associés aux couleurs granuleuses, créés une atmosphère crépusculaire qui colle parfaitement à la splendeur des paysages arides de l’ouest américain. La fascination de Joseph pour les hommes rencontrés lors de son périple et la beauté des territoires naturels qu’il traverse, invite le lecteur à se joindre à sa contemplation. Il s’en dégage une profonde mélancolie accentuée par les réflexions de notre héros « Je me perds dans la contemplation, un plaisir simple qui apaise toutes les questions et qui tend à annuler le vertige, mais ne cesse également de l’attiser. Alors j’essaye d’accompagner cette contradiction et d’en faire le récit avec mes yeux ». Outre les planches magnifiques de l’auteur, les mots ne sont pas en reste. Avec une écriture littéraire teintée de poésie et un scénario soigneusement construit Thierry Murat partage avec nous son amour des mots.
L’Histoire en toile de fonds
A travers un récit très documenté Étunwan, Celui qui regarde aborde plusieurs histoires qui s’inscrivent dans la grande histoire de l’humanité.
C’est l’histoire de la photographie naissante, à travers les réflexions de Joseph sur son art, et sur le rapport plus global de l’image à la réalité : « Qu’est-ce qu’une image, sinon un fac-similé de la réalité ? Cela ne sert à rien de vouloir à tout prix représenter les choses telles qu’elles sont. Il faut les mettre en scène, les sublimer » .
C’est aussi l’histoire d’une quête existentielle et spirituelle. Celle d’un homme qui a su dépasser la peur de l’inconnu pour découvrir un peuple aux mœurs et aux coutumes différentes, jusqu’à faire vaciller ses certitudes et se rapprocher de croyances dont il ignorait tout.
C’est enfin l’histoire d’un peuple, de sa culture et de ses traditions, menacé par la ruée vers l’or, dépossédé peu à peu de son territoire et qui tente de survivre en empêchant l’inéluctable. Chargé d’humanisme, le récit de Thierry Murat touche par l’émotion qu’il procure et le témoignage qu’il représente sur un pan de l’histoire américaine, comme le résume bien le narrateur photographe dans son carnet de route « les indiens savent depuis longtemps que leur monde est en équilibre au bord du vide. Et que ce vide ne sera bientôt plus que la trace effacée de ce qu’ils ont été. Aujourd’hui, je crois pouvoir affirmer humblement qu’ils ont compris que mon travail de « faiseur d’images » était en train d’empêcher peu à peu que cette trace disparaisse à tout jamais ».
Avec ce récit romanesque beau et mélancolique, Thierry Murat nous propose un ouvrage poignant que l’on vous recommande chaudement.
Étunwan, Celui qui regarde
de Thierry Murat
Éditions Futuropolis
158 pages
23,00€