Du 1er au 25 août, de Grenoble à Bruxelles, Alain Guézou marche pour dénoncer les violences de la précarité. Nous avons invité l’artiste Laurent Malone à enrichir la question de la marche.
Laurent Malone vit à Paris et Marseille. Il collabore avec géographes, sociologues, anthropologues, paysagistes, historiens et d’autres artistes et photographes au sein d’un réseau international, l’Osservatorio Nomade / Stalker, un laboratoire de recherche sur les mutations urbaines qui explore les interstices de la ville.
Connu pour ses longues randonnées dans les grandes villes du globe, la marche est pour lui un moyen de « déséquilibrer le corps » et l’orienter vers un regard plus humain des réalités du territoire. A New York par exemple, en 2002, il va de Manhattan à l’aéroport Kennedy en suivant le trajet le plus direct possible. Tracer une ligne droite est un moyen pour lui de déjouer l’autorité de l’aménagement urbain et d’aller à la rencontre de l’autre, celui qu’on ne prévoit pas : « la question d’habiter le territoire est très politique », appuie Laurent Malone.
Les façons d’habiter le territoire que lui permet de voir sa manière de marcher, ce sont surtout les bidon-villes, les campements de Roms, les zones imprévisibles que les institutions ont du mal à faire rentrer dans leurs analyses. « Ces façons-là (…) sont des façons d’être rejeté hors du monde ». Marcher permet donc à Laurent Malone d’admettre l’existence et de s’intéresser à cette grande précarité qui échappe, pour des questions de forme, aux autorités publiques, que ce soit politique, culturelle et scientifique. « Il s’agit de se rapprocher de l’autre avec ses pas. C’est très simple, en fait. »
Crédit photo Laurent Malone.
« Une sorte d’oncle d’Amérique qui par la rareté de sa présence est un étranger mais qui par sa nature fait partie intégrante de la famille du clan » écrit Alain Guézou dans son billet de route du 14 août lors de son accueil dans une famille inconnue de Vitry-le-François. En traversant le territoire et en se faisant héberger, le Don Quichotte au béret a voulu lui aussi aller à la rencontre : il s’aperçoit bien qu’elle n’est pas qu’une exception politique mais bien surtout une affaire de démarche.
Le pas permet à Laurent Malone de comprendre sa distance avec ce qui l’entoure. Cette distance, il l’utilise à la fois pour photographier mais aussi pour aller vers les gens de manière juste, poser des questions.
Entre marcher et habiter le territoire il n’y a qu’un pas. Dans la recherche de Malone comme dans le projet de Guézou d’atteindre Bruxelles un pied après l’autre, il y a cette lenteur qui permet de faire attention à tout le détail et d’affirmer la mesure, instable et invisible, d’une précarité forcément complexe. Il y a la nécessité du terrain, de l’échange et de l’observation, de l’écoute pour mener à bien une réflexion sur des enjeux politiques où des tranches de la cité en repoussent d’autres à la périphérie. Alain Guézou, en tant que précaire, fait lui la démarche de sortir de l’exclusion et se dirige vers le cœur des villes et des villages pour parler et sonner chez les élus.