Un « Manuel de survie en milieu politique », c’est l’ambitieuse entreprise de Pierre Conesa, ancien élève de l’ENA et agrégé d’histoire.
L’immobilisme en mouvement
Dès son prologue, Pierre Conesa donne le ton : « la France possède un réservoir de plus de six cent mille élus, autant de lecteurs potentiels. L’auteur espère de ce fait en tirer un grand succès de librairie. » Il est vrai que les recettes que donne l’ouvrage pour savamment éviter une réforme aussi difficile que nécessaire peuvent s’avérer précieuses pour qui désire gouverner et prévoir tout à la fois son avenir politique.
L’auteur ne manque pas du sens de la dérision, dont il faisait déjà preuve dans son très réussi Guide du Paradis, où les grandes religions étaient analysées sous l’angle de la critique touristique. Les formules font souvent mouche et certaines d’entre-elles mériteraient leur place au Panthéon des plus impitoyables aphorismes politiques. « Une réforme n’est urgente que lorsqu’on est dans l’opposition » ou « le long terme du politicien est la prochaine échéance électorale » en font partie. Pierre Conesa a de l’esprit et sait s’en servir.
On ne s’étonnera pas que son ouvrage ait reçu le « Prix de l’impertinence 2013 », ainsi qu’il est mentionné sur son quatrième de couverture. On regrettera juste qu’il ne soit pas indiqué qui remet ce fameux prix : à savoir le Cercle des Entrepreneurs du Futur, « think tank » d’inspiration ultra-libérale. Et peut-être est-ce là que le bât blesse.
Car si impertinence il y a, elle sait aussi choisir ses cibles. Très critique à l’égard des présidents Mitterand ou Chirac, Conesa l’est beaucoup moins – c’est un euphémisme : il ne l’est même pas du tout – envers des premiers ministres comme Juppé ou Fillon, dont il ne manque pas de saluer la volonté de réforme et le franc-parler, forcément victimes d’une population sclérosée. L’auteur parvient même à ne jamais citer une seule fois le nom de Nicolas Sarkozy, ce qui, pour un pamphlet politique rédigé en 2013, relève de la performance sportive.
Réforme olympique
Le positionnement politique de Conesa a le mérite d’être clair : ses propos sur les fonctionnaires ou les intermittents ne laissent que peu de doute à l’imagination. Mais ce positionnement, aussi légitime soit-il, pèse quelque peu sur sa démonstation, du moment que l’auteur ne considère comme une réforme que ce qui va dans son sens. Les 35 heures ou le mariage pour tous ne seront pas des réformes à ses yeux. Il lui devient dès lors aisé de faire preuve d’ironie en reprochant leur inactivité à des gouvernements qui n’ont pas sa sympathie. Il sait aussi faire preuve d’étranges raccourcis, lorsqu’il laisse entendre qu’un grève des éboueurs parisiens a conduit le CIO a choisir Londres plutôt que Paris pour organiser les JO de 2012…
Et parce qu’impertinence rime avec prudence, Conesa prend également soin de ne pas citer trop de noms. « Un ancien premier ministre socialiste » , « un ministre des Affaires Étrangères »… La fonction remplace souvent le patronyme, même lorsque le lecteur sait parfaitement de qui il est question. L’auteur n’appliquerait-il pas à lui-même certaines des recettes présentes dans son ouvrage, en veillant à ne pas (trop) se fâcher avec qui que ce soit ?
Malgré son parti-pris évident, Surtout ne rien décider demeure une lecture agréable, qui sait mettre l’accent sur bien des paradoxes de notre démocratie, unique en son genre, et les blocages qui rythment sa vie depuis cinquante ans. Et d’autant plus intéressante quand il aborde les questions de Défense Nationale, dont son auteur est un incontestable expert. Mais il convient de ne pas perdre de vue que cet ouvrage, sous ses dehors de satire politique, est aussi un livre d’opinion, avec tous les écueils que le genre peut comporter et toutes les irritations qui peuvent en découler.
Surtout ne rien décider
de Pierre Conesa
Éditions Robert Laffont
142 pages, 12 €