Qui n’a pas entendu parler des cafés philo ? Fondés par le philosophe Marc Sautet en 1992, cette relance d’une pratique discursive a eu, dans la deuxième moitié des années 1990 un succès planétaire : d’abord cantonnés à la région parisienne, ils se sont ensuite répandus un peu partout en France, avant de dépasser nos frontières (il existe aujourd’hui des cafés philo jusqu’en Russie), et ont même réussi à dépasser la philosophie stricto-sensu (apparition de café-socio ou de café-théologie). Le café philo est ainsi devenu un véritable phénomène de société, auquel furent d’ailleurs consacrées, déjà, un certain nombre d’études*.
Le café philo renverse la caricature de la philosophie souvent véhiculée d’ordinaire : on s’imagine qu’il faut apprendre ou connaître, voire maîtriser la philosophie, mais l’ambition – et aussi sans doute la raison du succès – des cafés philo était de ramener la philo dans son berceau d’origine : le questionnement socratique, l’éveil à ses propres questions, et la découverte de la force de ses propres réponses. Au café philo, on reçoit, c’est sûr, mais aussi on apporte, on argumente, on échange, dans un contexte bien loin de la réflexion solitaire, et viscéralement ancré dans le dialogue. Le dialogue, lui-même, finalement, devient un problème philosophique à part entière, car si il est vrai que l’on pense proprement, on ne pense jamais tout seul, et si l’on se parle, c’est dans l’espace collectif des questions et des réponses.
Le café philo, ainsi, renverse un rapport d’autorité du savoir et de la science sur l’individu : celui-ci a maintenant, qui qu’il soit et quel que soit le niveau d’étude qui est le sien, la possibilité, et tout d’un coup, le droit, de tout remettre en question, de questionner l’origine et la légitimité des idées reçues, sans complexe et sans préavis. Et c’est ce qui fait la force philosophique du café philo, si il est vrai que, comme disait Socrate, – peut-être le véritable fondateur du café philo -, « tout ce que je sais c’est que je ne sais pas. ».
Il n’y a pas, dans le café philo, de profs, d’élèves, de spécialistes, ou tout ce qui fait flirter l’érudition avec le pédantisme, il y des humains, capables de philosophie, c’est à dire capable de questionner, mais aussi de répondre, et même d’assurer la consistance de l’argumentation. C’est pourquoi tout le monde s’y retrouve : jeunes ou vieux, informaticiens ou chef d’entreprises, et c’est ce qui est beau dans un café philo : la véritable universalité du questionnement humain qui se dégage de la richesse des participants.
Grenoble, à l’image de toutes les grandes villes de France, a connu sa grande époque des cafés philo: l’ancien Tonneau de Diogène accueillait, à la fin des années 90, une cinquantaine de participants pour des débats parfois très animés et souvent passionnants. Hélas, le Tonneau a fermé et l’engouement pour les cafés philo est visiblement retombé, mais est resté l’intérêt de quelques uns pour des débats philosophiques plus ou moins publics : ainsi existent encore à Grenoble des ateliers philo, organisés par les animateurs des anciens café philo du Tonneau de Diogène, Bernard Journault et Laurent Delporte, entre autres, même si ils refusent toute assimilation avec l’ancien café philo.
Bernard Journault explique : « Ça n’est pas un café philo. Et ça n’est pas une pérpétuation du café philo du Tonneau. C’est un atelier philo. La différence entre l’atelier et le café, c’est que dans le café on a essayé de poursuivre un objectif que l’on a jamais réussi à atteindre : travailler sur les idées qui étaient exprimées, pour pouvoir les critiquer, pour pouvoir se répondre, demander à celui qui vient de parler ‘mais d’où tu tiens ce que tu dis’, et ça on était trop nombreux pour le faire. C’est ce que l’on privilégie dans ce que l’on appelle l’atelier, donc ça évoque un travail sur les idées qui est plus important finalement que de dire ce que l’on a à dire : le problème n’est pas de dire ce que l’on a à dire mais c’est de savoir pourquoi l’on dit ce que l’on dit et pourquoi l’on pense ce que l’on pense. ».
On comprend avec cela que l’atelier philo se veut plus sérieux et approfondi que le café philo ordinaire. Le fonctionnement des débats le prouve: au lieu d’un sujet hebdomadaire, comme dans le café philo classique, où n’importe quel sujet peut succéder à n’importe quel autre, l’atelier philo, comme atelier de travail en quelque sorte, repose sur le système suivant : un thème est choisi, démocratiquement, pour couvrir toute une série de rencontres (par exemple « l’origine de la notion de réalité »), et chaque rencontre ultérieure précise un aspect du thème choisi, lequel fait lui aussi l’objet d’un vote à l’issue de chaque séance (il y aura donc, par exemple « de quelles compétences relève le problème de la réalité ?» etc.). Au terme de la série de rencontres sur le même thème, un nouveau thème est choisi, et ainsi de suite.
La technicité des thèmes ou des sous-thèmes ne doit cependant pas effrayer les non-spécialistes : les ateliers philo réunissent des gens venus d’horizons très divers, et si l’on y rencontre quelques érudits ou connaisseurs, l’atelier philo ne ressemble en aucun cas à un colloque universitaire, mais rassemble seulement des gens portés à argumenter leurs questions et leurs réponses. Ainsi que le remarque Bernard Journault : « on arrive à discuter ensemble, alors que l’on sait très bien, au point de départ, que l’on n’est pas d’accord, et le fait de ne pas être d’accord est perçu comme une richesse et non comme une contradiction insurmontable. »
Sérieux et accessibilité caractérisent donc l’atelier philo, et c’est pourquoi, si le questionnement vous taraude, ou si la curiosité vous porte à venir, n’hésitez pas : le thème choisi pour cette rentrée est « Quelle est la nature de nos idées ? », et la première séance pour traiter ce thème portera sur « Qu’est-ce qu’une idée ? ».
Les débats ont lieu tous les 15 jours, dans l’arrière salle du restaurant Le Ness, 3 rue Très-Cloître à Grenoble, où l’accueil est fort sympathique, et la première séance sur le thème des « idées » se déroulera le 17 septembre à 20h30.
* Par exemple : Jacques Diament, Les Cafés de Philosophie, L’Harmattan, 2003