La journaliste Florence Aubenas publie un recueil de ses chroniques parues dans Le Monde. Des portraits d’anonymes confrontés à une société qui voudrait les écraser. Une observation implacable et pourtant terriblement humaniste.
Le quai de Ouistreham avait démontré l’exigence journalistique de Florence Aubenas, se mettant dans la peau d’une femme de ménage, pour raconter la vie des travailleurs, ou plutôt travailleuses précaires. Elle avait alors montré comment les plus démunis continuaient de se battre , malgré les difficultés et s’efforçaient de conserver une certaine dignité. L’ouvrage avait ému, questionné, interrogé – ce qui est déjà beaucoup pour un travail journalistique – mais n’avait pas suffi pour modifier les conditions de vie des travailleurs précaires. Le plus important était sans doute ailleurs : donner de la dignité aux plus fragiles et aux anonymes.
Droit de vivre dans la dignité
Dans le livre En France, la journaliste poursuit cette démarche de donner la parole à ceux que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. Mais cette fois, elle élargit son champ d’action, parcourant l’hexagone pour faire le portrait d’un pays en crise où chacun cherche une issue. Qu’il s’agisse du récit de l’arrivée du Front National à Hénin-Beaumont ou de la fin programmée d’un des derniers campings sauvages, elle restitue les paroles, les contextualise mais se garde bien de juger. Ainsi la prise de la mairie d’Hénin Beaumont par le parti d’extrême-droite prend ici une autre dimension…. Tellement plus percutant qu’un discours politiquement correct et convenu ! Ici, nous sommes pris d’une colère froide – au lieu d’une enième prise de position- et pris d’effroi, constatant que l’arrivée du parti de Marine Le Pen pour diriger une ville est davantage le résultat d’un sentiment d’abandon d’une population modeste appauvrie, condamnée au chômage qu’un engagement politique et dogmatique. Ils pourraient être nos voisins, nos proches, ceux qui expliquent comment le paysage lentement défiguré de leur commune ou de leur quartier les a progressivement amenés à voter pour Steeve Briois.
Un autre regard
Cependant, il ne faudrait pas limiter ce livre à un catalogue de difficultés où toute tentative d’échappatoire est par avance condamnée. Oui, la France est un pays où l’on souffre, où les jeunes , compte tenu des difficultés rencontrées, peinent à trouver leurs repères… Pourtant, si c’est bien le fonctionnement d’une société qui est pointé du doigt, l’humain n’est jamais remis en cause ou réduit. Aucune des personnes rencontrées ne nous parait antipathique ou condamnable. Cette part d’humanité prend encore plus de sens lorsqu’il s’agit de raconter le mariage de deux femmes dans un village de l’Ardéche, ou comment l’attention, la proximité et l’écoute ont eu raison des préjugés.
Florence Aubenas nous livre un portrait détaillé de la France actuelle : un pays en manque de repères qui a du mal à faire écouter sa, ou plutôt ses voix. Elle recueille les paroles sans a priori, équilibrant habilement lucidité et empathie. S’efforçant de ne pas faire de hiérarchisation des sujets abordés, soucieuse d’aborder de la même façon une réunion profs-parents, des manifestants de la Manif pour tous ou un jeune dans une foyer de jeune travailleur, elle parvient à nous faire garder intacte notre colère tout en nous proposant de croire en une belle valeur : la dignité.
En France
de Florence Aubenas
Éditions de l’Olivier
237 pages, 18 €