Ecrivain public à vocation sociale : la plume souriante

Il est des métiers qui éveillent la curiosité : rencontre avec Ingrid Mansier, une des 10 écrivains publics à vocation sociale de la Ville de Grenoble, pour qui la vocation n’est pas un vain mot.

Poser sa valise de papier

Dispenser principalement une aide administrative, c’est la particularité des permanences gratuites d’écrivain public mises en place dans les Maisons des Habitants de la Ville de Grenoble, – une exception grenobloise – car partout ailleurs en France, s’il existe des temps de permanence d’aide administrative menés par des travailleurs sociaux ou des bénévoles, il n’existe pas d’emplois communaux consacrés exclusivement à cet accompagnement.

Lutter pour l’accès aux droits

« L’idée forte du métier, c’est l’accès aux droits, lutter contre le non-recours », explique Ingrid Mansier. Et la demande ne cesse de croître : être la plume de la personne bloquée par la complexité d’un formulaire est la mission première. Mais les situations peuvent être plus complexes: « Dans le cas de litiges, on peut jouer le rôle de médiateur avec l’institution concernée ».

Actionner les réseaux

Confrontée au cas d’un logement insalubre, Ingrid Mansier a activé le service Hygiène et Salubrité, alerté la plate-forme énergie et l’Adil. C’est la coopération de ce réseau d’acteurs qui a permis de débloquer la situation : « Je ne suis pas spécialiste du logement et j’ai découvert les leviers à enclencher : c’est un travail de veille, de repérage et de réseau – puis de travail en partenariat – savoir sur qui orienter, qui est spécialiste de telle question, la prostitution, les violences faites aux femmes… »

Quand sont évoquées les ressemblances avec le métier d’assistante sociale, l’écrivain public précise : « Nous n’avons pas la capacité à délivrer des aides financières, nous ne faisons pas non plus le suivi social des personnes ». Et pourtant, le cadre des échanges permet parfois de mettre à jour des problématiques : « Dans les permanences, les personnes arrivent avec leur démarche à faire, mais aussi avec leur histoire, leur bagage et le climat de confiance qui peut être instauré dans ce bureau va faire aussi que ça déborde, c’est là aussi que les écrivains publics peuvent être l’une des armes contre le non-recours ».

Un travail de fourmi

Même si « Notre société essentiellement basée sur l’écrit laisse de nombreuses personnes sur le côté », Ingrid Mansier ne se résout pas à la fatalité. Quand on aborde la dématérialisation des services institutionnels, la jeune femme constate : « On rajoute une double complexité avec l’outil numérique qui est loin d’être accessible à tous », mais elle cherche des solutions : « Je ne suis pas anti-numérique, c’est un formidable outil, mais il y a des espaces de formation à créer urgemment, pour que l’ informatique devienne un levier d’insertion plutôt qu’une barrière supplémentaire pour accéder à ses droits ».

Pour avancer, elle essaie, avec ses collègues, de mettre en place des actions concrètes comme le projet des jeudis du numérique qui consiste à inviter une institution qui dématérialise à co-animer une séance d’initiation du public à son espace numérique, que les difficultés puissent remonter et soient prises en compte. « C’est un travail de fourmi, […] mais je veux croire en des micro-utopies qui en deviennent des macros plus tard » explique Ingrid Mansier, pour qui la vocation d’écrivain public s’est construite progressivement : « Je ne connaissais pas ce métier, je l’ai découvert petit à petit ».

Une deuxième vie

Ce métier, c’est une deuxième vie pour la jeune femme, diplômée d’un master de théâtre européen et d’un master de français langue étrangère. Tout d’abord chargée de projets culturels dans le milieu associatif, elle découvre l’univers des centres sociaux en travaillant comme animatrice d’un atelier « bain de langage » en école maternelle : un dispositif pour stimuler la parole des « petits parleurs » enfants bilingues ou très timides. Le CCAS est porteur de l’action. Elle rentre ainsi dans le réseau et anime des ateliers de français, cette fois pour des adultes, à la MdH du centre-ville, en parallèle de son travail de chargée de diffusion artistique.

C’est à la faveur d’un remplacement qu’elle va exercer comme écrivain public – avec des missions spécifiques à la Ville de Grenoble – car elle va aussi coordonner les actions socio-linguistiques menées dans la MdH : « Les ateliers de français donnent foi en une paix interculturelle, quand on voit que des nationalités du monde entier sont rassemblées ensemble dans un même objectif, se dépatouiller avec la vie locale ».- Et le métier va s’imposer de lui-même, pour cette femme qui a besoin que son travail prenne sens au quotidien : « Je ne me pose pas la question du pourquoi je me lève le matin, sans dire que je suis indispensable, je sais qu’il y a des gens qui comptent sur moi ». Elle n’en oublie pas pour autant la culture : « Un support extraordinaire à la rencontre, à la prise de confiance en soi… ».

Même si le métier n’est pas toujours facile – naviguer dans les méandres du système administratif et être confronté à des situations de vie très dures – Ingrid Mansier trouve l’énergie grâce aux petites victoires du quotidien : « les personnes nous aident à tenir ». Grâce aussi à « ce réseau de gens qui se battent pour une bonne marche du monde et pour le respect des personnes » : au jour le jour, une utopie qui prend vie.

Plus d’informations

Chaque Maison des Habitants de la Ville de Grenoble dispose d’une permanence d’écrivain public. Vous trouverez les coordonnées des Maisons des Habitants ici.