Les droits de l’homme sont inaliénables, mais que peut faire le poète lorsque Pôle Emploi décrète qu’il est en « fin de droits » ? Ferré voulait poétiser le prolétaire, Yvon Le Men poétise le précaire.
La loi sans l’esprit
On ne connaîtra pas en détail les raisons pour lesquelles Yvon Le Men est en délicatesse avec « ras-le-bol Emploi ». On ne saura pas le contenu de cette lettre de recours gracieux qu’il met une semaine à rédiger, avec l’aide d’un avocat. — « J’ai écrit 50 livres et je ne sais pas écrire une lettre de recours gracieux. »
Ce que l’on saura, en revanche, c’est comment le poète vit les choses de l’intérieur, la blessure qu’il ressent en apprenant qu’il n’était pas l’intermittent qu’il pensait être, qu’il ne fait pas du « spectacle vivant », qu’il n’avait pas coché la bonne case. « nul n’est censé ignorer la loi » mais « le temps d’apprendre à la lire il est déjà trop tard ».
C’est cela que raconte ce livre-poème : un désarroi. La machine administrative face à l’individu de bonne foi, pris dans les engrenages d’une administration figée avec laquelle le langage des humains est inopérant.
En réaction, au fil d’un texte désabusé mais plein de douceur, Yvon Le Men convoque Verlaine et Villon et son secours, et joue sur les mots pages après pages, décline ce vocabulaire abscons et absurde qui nous est devenu naturel. « Avant j’avais un métier – maintenant j’ai un emploi ».
Il rompt mais n’emploie pas
Et si la révolte gronde toujours, si la colère face à la « Direction Régionale de Pôle Emploi » lâche ses piques et nous parle de ces « aveugles » qui « ne voient pas venir à grands coups de chagrins les révoltes prochaines – de toutes les directions – dans toutes les directions », le poète se refuse à la haine.
Il est juste un homme qui ne comprend pas, qui n’est pas stupide mais qui ne comprend pas, et qui laisse son imagination flotter au gré des mots pour mieux parler de ce monde absurde qui tente de broyer tout ce qui ne lui ressemble pas, faute de savoir quoi faire d’autre.
En fin de droits parle des « anonymes », parle d’un monde où le poète, à défaut de trouver sa place, trouve toujours moyen de lui répondre, avec les armes que sont ses mots et son habileté à en jouer. Que subsiste encore un peu d’humanité, malgré les cases et les codes.
En fin de droits
d’Yvon Le Men
Dessins de Pef
Éditions Bruno Doucey
80 pages, 13 €