Pascal Dagneaux travaille à l’accueil de jour du Point d’Eau. Cet accueil permet d’accéder à des services de bases pour les habitants de la rue afin d’établir des passerelles avec la société. Sa spécificité : un coin douche et une laverie.
» Moi, je me bats contre l’autonomie. En tant qu’éduc’ spé, c’est mon problème l’autonomie pathologique ».
Le travail des pairs
Les yeux bleus de l’éducateur spécialisé soutiennent, sans sourciller, une verve fine, affûtée. Nourri de nombreuses références psychanalytiques, il établit facilement des ponts entre terrain et analyse.
Pascal a 26 ans lorsqu’il intègre le domaine de la prévention contre le sida. A Bruxelles, des dispositifs précurseurs requièrent un travail de terrain. Il entame une mission reposant sur le travail des pairs : des personnes directement issues du public cible sont formées afin de trouver des solutions concrètes pour sortir de la précarité. Mais trouver des réponses plus ou moins rapidement, n’est pas adapté à tous. « Faire arrêter de boire des mecs, ça ne leur fait pas toujours du bien. Après ce sont des zombies. Y’a des psychanalystes qui ne veulent pas qu’ils prennent un doliprane, y’en a d’autres qui disent « Enfin il parle ! » Ils sont toujours en défaut d’élaboration (de pensée et de parole), parait-il. On va pas les emmerder parce qu’ils ont une molécule dans l’coco ! » En effet, tout l’enjeu réside dans la reconnaissance médicale du sujet, de sa dépendance, perçue enfin comme un malade lambda. L’autonomie et la dignité, c’est ce que défend Pascal.
Sur un même pied d’égalité en tant qu’usager
Pascal arrive ensuite à Grenoble au Point d’Eau, « boutique » reposant sur le modèle du libre accès aux biens et aux services. « Ce concept, c’est l’idée de mettre tout le monde sur un pied d’égalité, celui d’usager. » explique-t-il. La même reconnaissance est appliquée aux usagers eux-mêmes : « considérer qu’ils ont un projet de vie, à priori, et ne pas le construire avec eux, comme des gamins » explique Pascal.
» Je ne veux pas m’intéresser aux motivations. Il existe une science, la science du toucher. Il y a un toucher dans les mots ».
Sur les quatre missions tenues par les bénévoles à Point d’Eau, une est attribuée aux bénévoles pairs : la bagagerie. Introduire cette confiance les amène vite à interroger les frontières et à formuler des réclamations. Comment l’éduc’, ouvrant des portes avec précaution, résoud-il l’équation ? « Faire confiance ce n’est pas signer un chèque en blanc. Je leur ai dit que s’il n’y a pas de frontières, on ne peut pas les transcender. Il est bon d’établir des différences pour collaborer. C’est cela donner du pouvoir aux gens. Le but de l’étiquette c’est de s’en passer, de faire péter les frontières. » L’autonomie, tout l’enjeu.
Illustrations de Fernand Deligny
L’autonomie
Et Pascal d’éclairer : « Moi, je me bats contre l’autonomie pathologique en tant qu’éduc’. Ils n’ont pas faim, pas soif, pas mal. Si tu fermes les portes, ils le déplorent, c’est tout. » Et de préciser un paradoxe, celui d’établir une sorte de dépendance : « celle qui nous concerne tous, humaine, celle qui fait une vie ». Pascal est également formateur. Il partage ses écrits sur l’errance et l’addiction à travers son blog, traçant les contours de ses connaissances par de petits graphiques. Ces « relevés » du vivant accompagnent un de ces derniers commentaires concernant l’équipe, travailleurs et bénévoles, « Je ne veux pas m’intéresser aux motivations profondes. Il y a un toucher dans les mots, c’est ça qui compte. »
Derrière le bureau de Pascal, les graphiques sont punaisés au mur. Sortes de petits schémas, précis et amusants. Pense-bêtes, ils synthétisent la matière sensible acquise au cours de ses réflexions. Ils semblent faire écho aux délicats dessins de Fernand Deligny, éducateur d’après-guerre, esquissant d’un seul tenant les ombres courbées des jeunes en errance. Une dernière phrase résonne : « Ce dont souffrent les précaires, nous en souffrons tous, mais à différents niveaux ». A l’image des ombres de Deligny se cantonnant à leurs besoins élémentaires, « vagabonds efficaces », jusqu’où cette pensée renvoie-t-elle chacun à sa propre zone d' »autonomie » ?