Entre reportage et fiction : une vérité tranchante

En 1936, James Agee part, avec le photographe Walker Evans, faire un reportage sur les conditions de travail des métayers en Alabama. Commandé par le magazine Fortune, il ne sera pas publié car peut-être trop virulent, trop bouleversant.

En 1936, Le magazine américain Fortune demande à James Agee de réaliser un reportage sur la vie des métayers du coton en Alabama. Celui-ci impose au magazine d’être accompagné par le photographe Walker Evans qui travaille déjà sur ce sujet pour la Resettlement Administration, devenue FSA (Farm Security Administration), un organisme chargé d’aider les fermiers les plus pauvres touchés par la Grande Dépression.
Les deux hommes s’installent dans trois familles pauvres : les Tingle, les Fields et les Burroughs.

Un reportage vieux de 75 ans

Les Éditions Christian Bourgois nous livrent aujourd’hui un texte unique que l’on croyait perdu à tout jamais. Un reportage de six semaines, signé James Agee et illustré par le photographe Walker Evans, qui reproduit intégralement la vie des métayers en Alabama. Ensemble, ils vont suivre le quotidien de ces trois familles, tels des policiers qui traquent des gangsters. Un récit où rien du quotidien n’est ignoré : contrat, abri, nourriture, vêtements, travail, éducation, loisirs et santé. Ils n’habitent pas avec ces familles, ils en font partie. Une vie très dure qu’Agee transforme en fureur chez le lecteur, et la beauté des clichés d’Evans vient de la densité de la charge qu’elles exposent.

Un article devenu une fiction

Dans une lettre datée du 18 juin 1936, Agee écrit : « La meilleure opportunité que j’aie jamais obtenue à Fortune », prouve la dimension de son implication dans ce reportage. Spécialisé dans les articles longs, il va laisser ses émotions s’exprimer. On dirait qu’il n’avait même pas besoin d’Evans car son texte décrit aussi bien le quotidien de ces familles qu’un film. De la narration aux différents types de descriptions, un vocabulaire précis et des champs lexicaux d’une perception concrète, Une saison de coton, trois famille de métayers a sa place au Panthéon des chefs-d’œuvre. Le photographe Evans a porté la touche finale avec ses clichés qui transforment le silence en alerte.
Refusé par le magazine Fortune, ce reportage deviendra finalement un ouvrage culte en 1941 sous le titre Louons maintenant les grands hommes, et aujourd’hui, ce même texte devient un témoignage avec Une saison de coton, trois familles de métayers

Le témoignage d’un journaliste et d’un photographe dessine bien une réalité troublante, celle de l’exploitation de l’homme. Un document qui peut résonner avec la crise actuelle. Hélas…  On est en pleine période des années 30 aux Etats-Unis,… Et pourtant il fait étrangement écho à notre période actuelle. Un ouvrage qui ne peut que nous passionner…

Né le 27 novembre 1909 à Knoxville et mort d’une crise cardiaque le 16 mai 1955, James Rufus Agee, après des études à l’Université Harvard, travaille comme rédacteur au magazine Fortune, il devient ensuite critique de films pour le Time avant de quitter ce métier en 1948 pour devenir écrivain indépendant. En 1958, il a reçu, à titre posthume, le Prix Pulitzer de la fiction pour Un mort dans la famille.
Walker Evans, né en 1903 dans le Missouri, est un photographe américain hors pair. Après des études au Williams College et à la Sorbonne, il entre au magazine Time, puis à Fortune. En 1955, il devient professeur de photographie à l’école d’art de l’université Yale. Ces clichés sur la Grande Dépression, les métayers en Alabama font de lui une icône de la photographie. Il est mort le 10 avril 1975, à New Haven, Connecticut.

20150821 couv saison de coton1Une saison de coton, trois familles de métayers
De James Agee
Photographies de Walker Evans
Éditions Christian Bourgois
Collection Littérature étrangère
187 pages / 18 €