Depuis 2011, la librairie Arthaud-Chapitre dépend du groupe Actissia, deuxième groupe français de distribution de livres. Le groupe appartient au fond américain Najafi et comprend principalement France Loisirs. Le chiffre d’affaires régresse : il est passé de 600 millions en 2011 à 540 millions en 2012. Le monde de la culture vit difficilement la crise. Après l’échec de la reprise des 26 magasins Virgin, ce sont 12 librairies Chapitre qui sont en danger.
A Grenoble, depuis février, la rumeur d’un plan social se faisait de plus en plus forte. Suite à un sit-in de quatre heures le 8 avril devant le siège d’Actissia à Paris, les salariés ont fini par convaincre les dirigeants du groupe à s’exprimer. Le 9 avril, la direction confirmait le plan social.
Rencontre avec Clémence Devincre (déléguée du personnel et déléguée syndicale CGT) et David Lucchetti (secrétaire du comité d’entreprise et délégué syndical CGT)
Quelles sont les raisons qui vous ont été données pour la fermeture ?
David Lucchetti : Lors de la réunion du 12 avril, Jörg Hagen, président du groupe Actissia, arrive et nous explique : pour Grenoble, il y a plusieurs critères. Le premier est qu’ils veulent vendre le magasin pour mettre en place un plan de revente derrière : ils veulent vendre des compléments alimentaires de la marque Séquoia et des produits de beauté Karin Herzog (ils appartiennent aussi au groupe) et ils veulent réduire l’espace livres pour vendre ça. Ils suppriment les magasins Chapitre pour ne faire qu’un magasin France Loisirs. L’idée, ce n’est pas tant de fermer le magasin que de le vendre. Comme cela faisait un an qu’ils essayaient de vendre, ils tentent le coup de poker : maintenant, soit quelqu’un achète soit on ferme. L’autre idée est que les magasins, ça coûte trop cher car il faut payer du personnel. Ils vont forcer les gens à passer à la formule sur internet : soit aller sur notre site « chapitre.com » mais surtout la formule club France Loisirs via le numérique. Il faut savoir qu’après la réunion du 12, Hagen a démissionné de la branche Chapitre et il a nommé un cabinet, Prosphère, spécialisé dans les liquidations. Ils disent qu’à Grenoble, on n’est pas rentables mais on n’a aucun chiffre, ils ne nous les donnent pas !
Est-ce que vos conditions de travail se sont aggravées ces dernières années ?
D.L. : Oui. Avant d’être américain avec Actissia, on était allemand avec Bertelsmann qui est un groupe de presse. Les allemands ont cru qu’ils pourraient faire comme chez eux avec des circuits libres. Nous, on travaille avec des éditeurs locaux. Avec la centralisation, si on veut commander un livre à Chambéry parce qu’on a un éditeur local il faut envoyer la commande à Paris qui l’envoie à Chambéry, Chambéry la renvoie à Paris qui l’envoie à Grenoble. Cela multiplie par quatre les coûts de transport et le client doit attendre son livre trois semaines au lieu de quatre jours. Sans compter qu’avec Internet, il aurait pu l’avoir en trois jours et chez lui. A la rentrée scolaire, on était réduit à faire des petits mots aux éléves : « l’élève a bien commandé le livre chez nous mais nous n’arrivons pas à l’obtenir ». Malgré tout, on s’en sortait. Je pense que c’est parce qu’on a eu l’intelligence d’expliquer aux clients ce qui se passait. Les fidèles nous ont suivi mais le chiffre a quand même beaucoup diminué. Les gens nous aiment bien mais au bout d’un moment ils vont ailleurs. Pour nous la vraie solution aurait été de rendre les magasins autonomes comme ils étaient avant. Avec Actissia, tout ce qu’ils veulent c’est la rentabilité, le chiffre. On a essayé de leur expliquer qu’une librairie ce n’est pas qu’un lieu de vente, c’est aussi un lieu d’échange, de communication, de rencontre. Les américains ont une culture complètement différente de la nôtre. Dans une librairie aux Etats-Unis, il y a 20 livres et on vend aussi d’autres choses, c’est un drugstore. Ils veulent calquer ce modèle là en France. La librairie, c’est une rentabilité très lente et ça fait partie d’un patrimoine. A Grenoble, 212 ans d’histoire ce n’est pas rien.
Quelles sont les alternatives à la fermeture ?
D.L. : Au début du mois de mai, on a vu le ministère de la culture, du commerce et de l’emploi. Ils nous ont dit : « C’est le comité d’entreprise qui a la main. Une fois que vous aurez le rapport et des données chiffrées, venez nous voir ». Mardi, les représentants du préfet à Grenoble nous ont dit exactement la même chose. Ils peuvent nous débloquer des aides mais il nous faut d’abord un business plan, des données chiffrées. Un expert devrait rendre un rapport mi-juin, s’il arrive à faire son travail correctement et avec ce rapport on pourra aller frapper aux portes.
Clémence Devincre : Pour l’instant, on n’a rien de concret. On a des idées. Le directeur a l’idée de reprendre éventuellement. Nous, on réfléchit à l’idée d’une Scop. On peut aussi garder l’idée de quelqu’un de l’extérieur qui reprendrait et maintiendrait l’activité du magasin. On n’est sûrs de rien et c’est aussi pour cela qu’on maintient la tension.
Quelles sont les actions que vous prévoyez après le Harlem Shake et les Free Hugs (câlins gratuits) ?
C.D. : On continue la mobilisation mais on ne fait pas la politique de la terre brûlée, on fait des actions un peu second degré, du positif pour dire qu’on aime notre métier et le magasin Arthaud. C’est aussi pour trouver un repreneur : il saura qu’il y a une équipe motivée et qui croit en ce magasin.
D.L. : On a rencontré le maire, Michel Destot, il y a quinze jours. On lui a dit qu’on aimerait bien faire un concert de soutien, ce serait aussi un moyen de remercier les gens qui ont signé la pétition et qui nous soutiennent. Aujourd’hui, on en est quand même à 36 000 signatures ! Pour le concert, la mairie accepte de s’occuper de la logistique et nous prête le kiosque du jardin de ville. Mais il faut qu’on trouve deux ou trois têtes d’affiche. On a aussi monté une association qui s’appelle « les amis de la librairie Arthaud », on a déposé les statuts ce mardi. Comme certaines personnes veulent donner de l’argent ou veulent des tee-shirts, des badges, cette association permettra de récupérer des dons et elle aura pour but de faire vivre l’image de la librairie Arthaud. On veut continuer à montrer qu’on est dans l’énergie positive.
C.D. : Si c’était une librairie qui faisait des pertes depuis des années, on se dirait que c’est très triste et dommage mais que c’est la réalité économique. Ce serait difficile mais il faudrait l’entendre. Mais là, c’est une librairie qui fonctionne, qui est viable, c’est ça qui est d’autant plus rageant ! On a de la chance d’avoir encore une librairie qui tourne, elle ne doit pas être sacrifiée !
Pour plus d’informations et apporter votre soutien à la librairie Arthaud :
http://sauvezarthaud.blogspot.fr/ ; http://www.everyoneweb.fr/lacgtchapitre.com/