Fin de mission pour Phil Klay, qui a tiré parti de son expérience de soldat et de son intelligence d’analyse pour livrer le portrait d’une humanité en guerre.
Apocalypse After
Passer de la guérilla irakienne à un centre commercial américain, vivre sa foi au milieu de suspicions de crimes de guerre, être un bureaucrate « planqué » pendant que d’autres reviennent de missions moins nombreux qu’ils ne sont partis, ou assumer pour son voisin de chambrée sa culpabilité d’avoir tué un jeune garçon… Les aspects les moins commentés ou les moins connus de la guerre sont ici l’objet de ces nouvelles signées par un ancien marine, vétéran de la seconde guerre du Golfe.
Mais il n’est pas question que de la guerre en général, quand bien même les questions attachées à tout conflit ressortent nécessairement : comment réagir face à la mort, celle de ses frères d’armes autant que celle de ses ennemis, voire à celle à laquelle on a échappé ? Quelle raison donner à un univers aussi absurde, aussi extrême qu’un pays en guerre ? Quelles méthodes de combat adopter, depuis la pression militaire en passant par la manipulation psychologique ?
Car Phil Klay ne parle pas de n’importe quelle guerre. C’est l’Irak qui est en jeu, une guerre décidée unilatéralement qui exacerbera les pulsions patriotiques américaines. Là où les vétérans du Viêt Nam étaient parfois perçus à leur retour comme des psychopathes potentiels, le vétéran d’Irak est accueilli comme le héros qu’il n’a pas nécessairement envie d’être. Lui dont l’engagement était souvent motivé par la possibilité de pouvoir, à son retour, bénéficier d’études qu’il n’aurait autrement jamais pu se payer.
Marine la peine
On ne peut citer in extenso toutes les questions, toutes les interrogations que pose l’auteur dans chacun des textes qui constituent ce recueil. Au-delà de son expérience personnelle, on comprend le travail de fourmi qu’a livré Phil Klay pour saisir la psychologie des soldats ou anciens soldats, pour aller chercher les spécificités et les individualités au sein du corps d’armée le plus aggloméré du monde. Certains récits sont émouvants, certains drôles aussi, mais tous finissent par surprendre. Tous dépassent les clichés et les idées reçues, ou tout au moins les idées faciles.
En évitant l’écueil du récit de guerre classique, et en refusant tout autant la posture absurdement nationaliste des Call of Duty que l’attitude anti-soldats pavlovienne de certains pseudo-pacifistes, Phil Klay livre une œuvre à la fois sincère et dérangeante. Sincère en ne cherchant pas à masquer les aspects les plus troublants de la psychologie du soldat et de la guerre qu’il a faite. Dérangeante parce qu’il amène bien souvent le lecteur à remettre en cause une lecture par trop manichéenne de ce conflit. Quand bien même il n’en oubliera pas le caractère illégitime et les conséquences dramatiques.
Cet ensemble de textes forme au final un tout concret : le portrait d’une guerre, monstrueuse matrice, et des enfants qu’elle vomit du champ de bataille. Des points de vue rares, servis par un style agréable et une traduction talentueuse, qui ne tombent jamais dans la vulgarité ni la complaisance. Et aboutissent au final à un livre que l’on termine et referme à regret, malgré des pages et des vérités quelquefois bien éprouvantes.
Fin de mission
de Phil Klay
Traduit de l’anglais (américain) par François Happe
Éditions Gallmeister
320 pages, 23,80 €