Francis Silvente travaille dans le social depuis 35 ans. Éducateur spécialisé puis dirigeant de structures d’économie sociale, il innove sans cesse pour promouvoir l’accès au droit des plus précaires.
Le cheminement vers le social
Né à Voiron d’une mère infirmière en hôpital psychiatrique et d’un père ouvrier boyaudier aux abattoirs, Francis Silvente grandit dans une famille accueillante : » Chez moi, c’était toujours ouvert, les cousins qui étaient en difficulté chez eux passaient dormir à la maison, parfois rester plus longtemps. »
Il poursuit une scolarité classique, et tâtonne – d’un DUT marketing en petits boulots – avant de découvrir le social en animant dans un camp de vacances pour handicapés physiques : » j’avais le sentiment que je pouvais être un soutien pour ces jeunes adultes qui cumulaient souvent handicap physique et social. » Il va alors intégrer l’école nationale pour handicapés de Garches en île-de-France, où il va rester sept ans, se formant, d’aide médico-psychologique à éducateur spécialisé.
De retour en Isère après avoir postulé à la structure d’hébergement L’Oiseau Bleu, il affine sa vision du métier d’éducateur : » Les personnes ont des rêves, des envies. Il s’agit de faire concilier le rêve et la réalité, et souvent, cela crée un espace de tension. Le rôle de l’éduc, c’est d’être un rameneur de possibles, donner des outils et permettre à la personne de s’en saisir. »
Interroger sa pratique professionnelle
En 1995, Francis Silvente ouvre la résidence Valmy, première résidence sociale en France. Il raconte sa remise en question, après avoir vu deux pensionnaires relogées dans des logements sociaux ayant rechuté dans la foulée. Il s’interroge sur ces échecs, comprend l’impérieuse nécessité de lien social pour ces femmes et ces hommes. Il va alors participer à la création de pensions de famille : des logements – sans limite d’accueil dans le temps – avec des locaux partagés et animés.
Apprendre de ses erreurs, « ne jamais être dans la certitude, mais plutôt dans la créativité », c’est le leitmotiv de cet homme qui réinterroge sans cesse sa pratique. En 2001, de retour à l’Oiseau Bleu comme directeur adjoint, il essaie de sortir des logiques d’insertion à tout prix : » La question de la contractualisation, du projet, m’a toujours interrogé. C’est un parcours en escalier, où la personne doit prouver à chaque étape du projet qu’elle a bien fait celle d’avant ; un ascenseur social qui ressemble plus à un escalator fonctionnant à l’envers : dès que vous arrêtez, vous redescendez. »
L’accès direct au droit
Ne jamais assujettir un droit à un accompagnement social, c’est une des convictions de cet homme, construite conjointement par la pratique et les découvertes de la recherche :« À l’époque de Valmy, j’ai élaboré avec les services de l’État des « bons à loger » de familles les plus aptes à accéder à un logement. Je croyais être objectif, et pourtant, les expérimentations autour du dispositif du logement d’abord et les recherches, des Etats Unis à la Finlande et plus récemment en France, montrent qu’on ne peut jamais savoir si le relogement va fonctionner ou pas. Si on ne peut pas savoir, on donne un logement, et après, on voit en adaptant si nécessaire l’accompagnement. »
Développer des dispositifs innovants
Responsable du Relais Ozanam depuis 2006, il continue d’innover avec des dispositifs comme » l’alternative à la manche » qui consiste à proposer quelques heures de travail à une personne à la rue : « Elle peut redemander des heures et éventuellement, s’inscrire dans une démarche d’insertion professionnelle, mais ce n’est pas l’objectif de départ. Il n’y a pas d’injonction d’insertion et ça fonctionne plutôt bien. »
Président de la Fnars Auvergne Rhône-Alpes (nouvellement Fas) depuis 2013, il a aussi contribué à faire avancer la question de la participation des précaires dans les commissions nationales et régionales. S’il existe, depuis 2016, un décret officialisant cette participation, il s’agit maintenant d’éviter le piège de la représentation individuelle : « En Isère, nous voulons créer une mission de construction collective de la participation, une aide à l’auto-organisation des personnes précaires et accompagnées. »
Faire bouger les lignes…Un combat permanent pour cet homme qui a vu l’opinion publique évoluer d’une attention aux plus pauvres à une suspicion généralisée. Le prochain défi déjà amorcé : « Sortir de nos structures, intégrer la cité, apprendre à se connaître pour lever les présupposés ».