Vingt ans. Vingt années ! La longévité du Bon Plan est étonnante. Les personnes qui ont participé aux débuts du journal disent toutes qu’elles ne pensaient pas que l’aventure du Bon Plan durerait aussi longtemps.
Cette longévité a été possible grâce à l’engagement et au professionnalisme de quelques personnes qui ont porté sur de longues périodes le projet. Parmi les salariés de l’équipe des permanents, Gervais Desgrolard, rédacteur en chef pendant une dizaine d’années, a joué un rôle décisif. Lui aussi, qui vit désormais loin de l’Isère et travaille dans un autre secteur, s’étonne aujourd’hui que Le Bon Plan existe toujours.
Avant son recrutement au Bon Plan à l’automne 1993, Gervais est directeur de la publication d’un magazine d’information locale, Direct. Dans une ville, Grenoble, qui a depuis dix ans comme maire RPR le contestable Alain Carignon, Direct s’est affirmé comme un journal engagé à gauche, crédible et indépendant. Le profil de Gervais intéresse Philippe Fabrègue, du conseil général de l’Isère, qui a été l’initiateur du Bon Plan, en 1991-1992. Il cherche alors à professionnaliser l’équipe des permanents du journal, tout en conservant la même ligne directrice : réaliser un journal pour et par des allocataires du RMI.
Gervais qui se présente lui-même comme « défenseur des opprimés » adhère à ce discours politique fort et il partage les volontés de changement de Philippe Fabrègue. Il a bien conscience que Le Bon Plan peut être instrumentalisé et jouer le rôle de « soupape de sécurité » pour les politiques et pour les professionnels de l’insertion, dans un contexte (les années 1992-1993) de récession économique (le cap des 3 millions de chômeurs est franchi en 1993). Mais il entend aussi positionner Le Bon Plan comme un « journal d’idées », indépendant, qui donne la parole aux allocataires du RMI et parle de « leurs conditions d’être ». Son objectif est clair : changer les regards sur les allocataires du RMI et contribuer ainsi à changer la société.
Pendant une dizaine d’années, Gervais travaille à asseoir et à développer cette ligne éditoriale particulière du Bon Plan. Au quotidien, dans ses relations de travail avec les autres, son engagement est tout aussi fort. En tant que permanent de l’équipe et rédacteur en chef, il est un des responsables de ce chantier d’insertion que constitue également Le Bon Plan.
Comme c’est toujours le cas aujourd’hui, Gervais doit défendre la spécificité de ce lieu d’insertion avec des salariés souvent « bac + », c’est-à-dire diplômés de l’enseignement supérieur. Plus que jamais, dans les années 1990, le chômage et la précarité touchent toutes les catégories socio-professionnelles. Mais, avec Philippe Serrano, le directeur d’Impact auquel le journal est rattaché à partir du début de 1994, il veille aussi, lors des recrutements, à un équilibre entre diplômés et non diplômés, entre jeunes et plus âgés, hommes et femmes. Ce brassage est essentiel, selon lui, notamment pour que l’équipe du journal soit un lieu d’échanges et de soutiens réciproques.
En effet, pour Gervais, la période d’activité au sein du Bon Plan devait être pour les demandeurs d’emploi en contrats aidés (en CES à cette période) une phase de respiration utile et salutaire. Un lieu pour prendre le temps. Pour reprendre confiance, pour se redonner du courage. Pour être écouté. Comme dans une petite famille choisie. Un lieu où l’on refaisait le monde en fumant et en buvant du café, beaucoup. Un lieu pour rire et pleurer.
Ces moments de partage, de « richesse interpersonnelle », de « vérités échangées » au sein de l’équipe ont marqué Gervais. Il consacrait aussi beaucoup de temps pour des contacts à l’extérieur.
Pendant son activité au Bon Plan, Gervais se constitua un important réseau de connaissances, dans des secteurs variés. Son propre parcours l’avait déjà amené à être actif dans différents milieux professionnels. Avant de travailler dans la presse, il avait été en effet salarié dans des associations d’éducation populaire. Il fut aussi chimiste (c’était sa formation initiale) dans l’industrie.
La constitution de ce réseau était importante pour faire connaître et installer localement le journal. Mais ces contacts étaient autant de leviers qu’il pouvait mobiliser pour aider les salariés du Bon Plan dans leurs recherches d’emploi et leur projet professionnel. Ils étaient particulièrement utiles avec des personnes qui pour la plupart n’avaient pas suivi de « chemins tracés », et le plus souvent ne le voulaient pas, comme Gervais lui-même !