Nombreuses sont les personnes qui se retrouvent à devoir assister quotidiennement un proche en perte d’autonomie après l’apparition d’une maladie neurodégénérative telle que Parkinson ou Alzheimer. Ce rôle d’aidant, bien que nécessaire, peut être source de fatigue psychique voire même causer des soucis de santé chez la personne aidante… Afin de prévenir ces maux indirectement engendrés, la Maison des aidants Denise-Belot de Grenoble offre un lieu de ressource et de soutien à celles et ceux qui aident au quotidien. Présentation de ce service à travers les mots de Anne Royer, coordinatrice de la Maison des aidants.
Bonjour Anne, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Alors, je suis Anne Royer, coordinatrice de la Maison des aidants Denis-Belot du CCAS de Grenoble. Pour vous aider à mieux comprendre quelle est cette structure, je pense qu’il est important de raconter un peu mon parcours. Je suis de formation ergothérapeute. J’ai travaillé en tant que telle dans le milieu de la santé mentale en hôpital de jour pendant cinq ans ; puis, dans le service de soins infirmiers à domicile du CCAS de Grenoble. Par la suite, j’ai été coordinatrice au sein du dispositif MAIA (Méthode d’Action pour l’intégration des service d’aide et de soins dans le champ de l’Autonomie) du département de l’Isère pendant neuf ans. Mon rôle consistait à coordonner les situations complexes des personnes atteintes de maladies neurodégénératives souhaitant rester à domicile.
En somme, tout au long de ce parcours, j’ai toujours travaillé pour des personnes dans leur milieu de vie : jamais avec des patients en hospitalisation institutionnelle, mais toujours en hôpital de jour ou à domicile. C’est au cours de ces expériences que j’ai été amenée à travailler avec les aidants, à échanger longuement avec eux… et du même coup, à m’intéresser à cette thématique. J’ai finalement intégré il y a maintenant un an et demi le poste de coordinatrice de la Maison des aidants.
On peut voir une grande cohérence dans ce parcours ! À présent, pouvez-vous nous raconter comment est née la Maison des aidants ?
La Maison des aidants fait partie d’un dispositif appelé la « Plateforme d’accompagnement et de répit », qui a vu le jour dans le cadre du Plan Alzheimer de 2008-2012. Ce dispositif visait à offrir un soutien aux personnes aidant un proche atteint d’une maladie neurodégénérative. Le CCAS s’est désigné comme porteur du projet de création d’une Plateforme d’accompagnement et de répit à Grenoble en 2013, et ainsi est née la Maison des aidants Denise-Belot. Nous allons d’ailleurs fêter nos 10 ans à l’automne 2023 !
Maintenant, poussons la porte de la Maison des aidants. Comment se compose l’équipe ?
L’équipe est formée de trois salariées du CCAS. Je suis la coordinatrice. Ma collègue, agente d’accueil, est également AES (accompagnante éducative et sociale), elle s’occupe donc de la partie administrative, mais aussi des soins des personnes malades et de l’animation de certaines activités. Et pour finir, nous avons une collègue psychologue qui anime notamment des ateliers en groupe.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le public que vous accueillez ? Qui sont les aidants ?
Un aidant est une personne qui assiste quotidiennement un proche en perte d’autonomie. Cela peut-être un membre de la famille, une connaissance, un voisin… La personne aidée vit généralement sous le même toit que la personne aidante, mais pas nécessairement.
La perte d’autonomie peut être liée à l’avancement de l’âge, à un accident… Mais la Maison des aidants étant une Plateforme d’accompagnement et de répit, elle est tenue de répondre à un cahier des charges précis : les personnes accompagnées doivent être atteintes d’une maladie neurodégénérative. Nous sommes restés dans ce cadre depuis le Plan Alzheimer, c’est donc ce public que nous accueillons.
La Maison des aidants peut-elle malgré tout s’adresser aussi à des publics aidant des proches atteints d’autres pathologies handicapantes que les maladies neurodégénératives ?
Pas pour l’instant. Théoriquement, depuis 2021, un changement législatif donne la possibilité aux Plateformes d’accompagnement et de répit de s’ouvrir à toute pathologie chez la personne aidée, quelle qu’elle soit. Mais cela nécessiterait plus de moyens humains et plus de connaissances des autres troubles et maladies.
Pourtant, il serait tout à fait pertinent d’accueillir d’autres publics. Une personne assistant un proche atteint de la maladie de Parkinson rencontre les mêmes problèmes qu’une autre aidant un proche atteint, par exemple, d’un cancer ou de paraplégie. Les aidants rencontrent tous la même difficulté de savoir comment concilier leur situation d’aidant avec leur vie personnelle, leur vie professionnelle, leur vie sociale, leurs passions, leurs projets…
L’assistance auprès d’une personne vient non seulement occuper du temps, mais aussi puiser de l’énergie. Complètement dédié à l’accompagnement de ce proche, l’aidant se retrouve facilement épuisé physiquement, psychiquement… Ce risque est très important. Il y a quelques années, certains chiffres alarmants indiquaient même que près de 40 % des aidants décédaient avant la personne aidée dans le cadre des maladies neurodégénératives ! En somme, à force d’aider une personne faisant face à des soucis de santé, on risque de négliger sa propre santé.
Des informations pour le moins édifiantes… Et comment se déroule le parcours d’un aidant qui vient solliciter vos services ?
Un aidant appelle ou passe nous voir. Ma collègue de l’accueil va effectuer un recueil d’informations, puis lui proposer un premier entretien individuel, qui sera effectué par la psychologue ou moi-même. Ce premier entretien, qui dure jusqu’à 1 h 30, sera l’occasion pour l’aidant de raconter ce qu’il vit. D’abord, il parlera longuement de la personne aidée, car telle est sa préoccupation principale ; puis, à la fin, des conséquences sur sa propre vie et sur sa propre santé : culpabilité, impuissance, dépression, épuisement…
À l’issue de cet entretien, nous lui proposons un soutien adapté. Nous pouvons lui recommander de l’aide à domicile pour le proche, l’aiguiller vers des services de droit commun comme l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) ou encore lui proposer de participer à l’une de nos activités. Ces activités peuvent s’adresser aux aidants uniquement, au binôme aidant-aidé ou alors au collectif. Nous pouvons également orienter l’aidant vers un partenaire qui pourra répondre à des besoins plus spécifiques.
Pour récapituler, voici ce que nous avons à apporter aux aidants : accueil, écoute, information, orientation. Certaines personnes viendront nous solliciter une seule fois, d’autres entameront un accompagnement sur du long terme. Les demandes sont assez nombreuses. Au sein de la Maison des aidants Denise-Belot, pour l’année 2022, nous avons reçu 218 prises de contact de la part d’aidants.
Pouvez-vous nous en dire plus concernant les activités que vous proposez ?
Pour le cas des activités qui s’adressent au collectif, il s’agit de moments de convivialité ou de jeu. Les aidants peuvent y participer soit seuls, soit avec leur proche. Ces événements sont donc ouverts au plus grand nombre.
Concernant les activités pour les aidants seuls, ils sont d’une part, axés sur le bien-être : sophrologie, gymnastique douce, massages… et d’autre part, sur le divertissement : club de lecture, projection de films… Nous leur proposons également un groupe d’échanges autour de différents thèmes animés par la psychologue. Ces événements permettent d’offrir aux aidants de la ressource mais aussi du répit : s’ils veulent participer à l’une de ces activités, ils ont la possibilité de venir avec le proche dont ils s’occupent, et ma collègue AES accompagnera ce dernier le temps de l’activité. Elle proposera aux aidés un temps d’échange, de l’activité manuelle, de l’écoute musicale… C’est aussi l’occasion pour eux d’expérimenter une sortie du domicile.
Nous organisons également des activités qui s’adressent spécifiquement au binôme « aidant-aidé ». Il s’agit de moments festifs tels que des goûters ou une loterie, et par ailleurs d’ateliers qui donnent l’occasion de se découvrir autrement comme de la zoothérapie (médiation animale) ou une activité physique adaptée. Comme les aidants viennent avec la personne qu’ils assistent, un temps de répit leur est forcément offert. Mais le but est aussi de permettre au binôme de sortir un peu de la relation « aidant-aidé » et de se retrouver sur un pied d’égalité en partageant des moments ludiques ou de divertissement. En raison de la maladie, on ne peut pas forcément construire de souvenirs, mais on peut en tout cas vivre ensemble le moment présent.
En dehors de ces activités, les aidants peuvent-ils aussi demander une prise en charge en cas de besoin, le temps d’une demi-journée, par exemple ?
Si c’est dans le cadre d’activités préalablement organisées, tout s’effectue sur inscription, il est donc nécessaire de prévoir ce temps à l’avance. Mais autrement, nous proposons aussi effectivement un dispositif appelé la « halte-répit ». Si l’aidant a besoin de temps pour lui, simplement pour vaquer à ses occupations ou quel qu’en soit le motif, il n’aura pas besoin de se justifier : il pourra nous demander si nous accompagner son proche pour une durée de deux heures, quatre heures, un matin, une après-midi… peu importe.
C’est la seule activité payante parmi celles que nous proposons, puisque l’aidant n’est pas sur place. Toutes les autres activités, qui sont animées par des intervenants extérieurs, des prestataires ou des partenaires des collectivités – par exemple, le club lecture est animé par une bibliothécaire de la ville de Grenoble – sont gratuites.
En parlant d’activités, la Maison des aidants a organisé un temps fort en septembre 2022 : un séjour-ressource à la Grande Motte, qui s’est déroulé sur 3 jours. Trois professionnels ont accompagné 15 aidants afin de leur offrir un long moment de répit. Une escapade qui leur a permis d’expérimenter la séparation avec leur proche, de déterminer quelles étaient les actions à mettre en place pour le relai auprès de celui-ci en leur absence… et bien entendu, de se ressourcer à travers le dépaysement dans un cadre idyllique et apaisant !
Ce fut pour eux l’occasion de prendre conscience de leurs propres besoins et de l’importance de s’accorder du temps pour soi. Car une personne aidante a parfois tendance à se montrer trop désintéressée, au point de s’oublier elle-même. Or, il est important que les aidants gardent à l’esprit que le répit est essentiel, dans leur propre intérêt et dans celui de leur proche. Recharger les batteries permet de continuer à aider plus efficacement !
Pour plus d’infos pratiques, lire l’article « La Maison des aidants Denise-Belot : car les aidants ont eux aussi besoin d’être aidés »