Jacques Sardat, sous son nom de plume Cled’12, caricaturiste grenoblois, a été sélectionné parmi les 173 artistes de l’ouvrage La BD est Charlie, présenté en avant-première lors du Festival International de la BD d’Angoulême.
C’est dans un contexte pour le moins particulier que cet ouvrage a pris forme. Des dessinateurs et caricaturistes du monde entier se sont spontanément armés de leurs crayons pour réagir face à l’extrême violence et la barbarie des attentats survenus entre le 7 et le 9 janvier à Paris et pour protéger la liberté d’expression de la presse. L’intégralité des bénéfices de la vente de cette compilation sera par ailleurs reversée aux familles des victimes de ces attentats.
Comment est née votre participation à l’ouvrage La BD est Charlie ?
Quand j’ai appris la nouvelle, je dessinais. Le crayon m’en est tombé des mains. Une fois le premier choc passé, j’ai naturellement dessiné, en rapport avec ces évènements. C’est ma façon à moi de me faire du bien, c’est thérapeutique. Et c’est ainsi que tout s’est déclenché.
Qu’avez-vous pensé de la marche qui s’est déroulée le dimanche 11 janvier 2015 ? Vous attendiez-vous à un tel élan républicain ?
Ce que cette marche a surtout illustré, à mon avis, c’est que les gens ont peur ; il existe maintenant une réelle crainte chez les français. On a peur parce que ces attentats nous ont tous touché personnellement et que cela peut se reproduire à n’importe quel instant.
Je suis dubitatif quant à la finalité de cette marche. Tant que les gens continuent de vivre complètement repliés sur eux-mêmes et dans une indifférence à toute épreuve à l’égard de l’autre, les choses auront du mal à avancer dans le bon sens.
La marche c’est bien, mais il faut surtout que des actions soient mises en œuvre. Au niveau des institutions de l’état mais surtout au niveau citoyen, que l’on réapprenne à vivre en société avec l’autre, dans le respect mutuel. Qu’on mette en actions nos valeurs républicaines, notamment celle de fraternité, qui a du mal à trouver sa place dans notre société actuelle.
Comment voyez-vous l’engouement pour la dernière édition en date de Charlie Hebdo du mercredi 14 janvier ?
Quand il y a plus de monde chez les buralistes que dans les pharmacies, c’est plutôt bon signe. Cette édition post attentat m’a fait l’effet d’un pansement, d’une sorte de thérapie par le rire, comme je l’évoquais au préalable. Il y a un vrai problème du moment où on n’arrive pas à rire d’un évènement, comme les caricaturistes de Charlie Hebdo s’exhortaient à le provoquer. C’est ainsi qu’on arrive à cette désacralisation qui, à mon sens, leur était chère.
Pensez-vous qu’avec ces évènements, les gens se sont un peu plus repliés sur leurs croyances et craintes de l’autre ?
Je pense que les gens sont allé plus loin dans leurs croyances, quelles qu’elles soient. Qu’elles s’inscrivent dans la peur de l’autre ou au contraire dans l’ouverture d’esprit. Pour ne pas sombrer dans la facilité de l’amalgame et de l’islamophobie, il faut que la graine soit déjà présente en la personne pour qu’il y ait un cheminement possible vers la tolérance.
Que signifie pour vous le terme «liberté d’expression» ?
La liberté d’expression, quelque part, c’est une utopie. Elle devrait être totale, sans aucune limite outre mesure. Mais la censure est toujours présente, ne serait-ce que de par la ligne éditoriale d’un journal. En tant que caricaturiste, j’en ai fait l’expérience.
Je devais ce jour-là réaliser une caricature sur le lien en entreprise. C’était pendant la période des suicides à France Télécom, et je m’étais informé sur les causes des ces évènements tragiques. Les managers avaient alors pour instruction de mettre en place une pression énorme pour les employés. J’ai donc décidé de dessiner un employé pendu dans son bureau, ce qui pour moi représentait une certaine image de quels liens une personne pouvait avoir au sein de son entreprise. Cette caricature n’a jamais été publiée.
Ceci dit, pour faire perdurer cet idéal de liberté d’expression, je pense qu’il y a un travail à faire au niveau des écoles, des interventions à réaliser pour parler avec les adultes de demain pour provoquer la réflexion, la prise de parole et la discussion. Au lieu du cours d’éducation civique comme on l’entend à l’heure actuelle, prenons le temps de réapprendre aux jeunes à être civique, à s’intéresser à l’autre, à savoir l’écouter dans le respect et la bienveillance. En un mot à être fraternel.