Accompagner des jeunes en quête d’avenir, c’est le quotidien de Karim Khadraoui, employé par la Mission locale de Grenoble. Tâche parfois ardue, qu’il affectionne dans son rapport humain aux autres.
Karim Khadraoui veut mettre du sens dans la vie des gens. À 56 ans, il a déjà derrière lui plus de 20 ans de métier dans l’accompagnement des jeunes. Principalement à la Mission locale de Grenoble, de 1990 à 1992, puis la période actuelle depuis 1997. Mais aussi d’autres expériences marquantes, plus courtes, au Comité Dauphinois d’Action Socio-Éducative (Codase), à l’association Beauregard, toujours active dans l’agglomération grenobloise et dans une école de décrocheurs.
Jovial, souriant, sympathique
Karim et ses collègues accueillent au 16, boulevard Agutte Sembat, les publics jeunes de 16 à 25 ans, notre lieu de rencontre pour ce portrait. La mission locale de Grenoble respire le neuf. Les jeunes sortis du système, sans travail, parfois sans diplôme, parfois vivants à la rue ou tout simplement perdus dans leur orientation, sont accueillis sur rendez-vous. Karim Khadraoui vient justement d’en terminer un. En première impression, on note tout de suite chez lui un caractère jovial, souriant, sympathique. Il n’hésite pas à me présenter à tous ses collègues lors d’une petite visite rapide de la structure. Il va même jusqu’à blaguer, ici et là. Devant l’appareil photo, Karim se fait étiqueter de “star” par un collègue, auquel il répond que c’est le journal Le Monde qui est là. Il a le contact facile.
L’actualité du jour, c’est son changement de bureau. Le matin encore, il était en première ligne, au niveau de l’accueil. Une mise en retrait quitte à prendre un bureau plus petit. À la longue, Karim semble épuisé de devoir recevoir certains jeunes à l’improviste. Peine perdue ? Au cours de notre entretien, un jeune a réussi à trouver son bureau de lui-même. Il y a toujours de l’action en mission locale. Karim le reçoit rapidement. Ce dernier a trouvé un patron prêt à l’embaucher. Il voudrait que tout aille vite. Karim Khadraoui prend rendez-vous. Puis il explique que ce jeune “impose son urgence”. Un profil qu’il arrive à détecter avec l’expérience. Changer de bureau n’a donc pas servi très longtemps.
Nostalgique d’une époque “olé-olé”
L’accompagnement de jeunes est vécu par Karim comme un accompagnement avant tout humain. Il recevra donc ces jeunes qui sortent du cadre. Mais il semble un peu lassé d’être le spécialiste “jeunes qui font peur”. Il le dit, la peur fait parti du métier. Il observe que ses collègues ont de plus en plus peur. Et il l’explique par un cadre trop aseptisé. À la mission locale, toute personne doit se présenter à l’accueil dès son arrivée. Ce n’est pas Karim qui le dit, mais les affiches dans le hall. L’espace dédié pour attendre son référent est très typé salle d’attente chez le médecin. Quand un jeune s’énerve, on s’étonne plus qu’avant, car le cadre est “aseptisé”. Avec une pointe de nostalgie, il note qu’il y a moins de place pour l’improvisation, “c’était un peu olé-olé à une certaine époque”.
Toujours dans un souci de relation d’humain à humain, Karim Khadraoui est très critique sur sa mission d’accompagnement des jeunes. Pour lui, “les outils d’insertion deviennent aussi des outils d’exclusion”, qui se traduit par un déplacement du type de population reçu à la Mission locale. Il s’explique : sur l’échelon des diplômes, les niveaux IV (niveau quatre : bacs, brevets techniques) à VI (niveau six : sans diplôme) étaient la cible privilégiée d’accueil. Aujourd’hui, il note qu’il y a de plus en plus de jeunes diplômés des niveaux II et III, que “les universités vomissent” chaque année. Ces jeunes s’approprient des outils, tandis que les catégories VI “ne viennent plus”. Pessimiste, il considère “qu’on est sur la fin du social”.
La Mure, puis Grenoble
Son bureau ne donne pas sur la meilleure vue de Grenoble. Il trouve que la ville n’est pas très belle. “Grenoble, c’est La Mure en plus grand” et ce n’est pas un compliment. Il a grandi là-bas avec sa famille, sur le plateau de la Matheysine. Son père, Algérien, est arrivé en France en 1954 par “immigration soumise”. Il travaillait dans la mine de charbon. Charbon dont il pouvait ramener une partie gratuitement chez eux. Le seul compliment de Karim sur La Mure, c’est qu’au moins il était à la campagne. Mais pour lui c’était comme un désert, dit-il en rigolant. Pour Grenoble, il comprend les touristes qui découvrent les montagnes qui “imposent un décor”. Mais pour le reste, il corrobore l’écrivain Stendhal qui trouvait la ville “hideuse”.
Une construction d’existence
Karim Khadraoui participe aussi à l’accompagnement Garantie Jeunes, car la mission locale est un dispositif de l’État. Là-dessus, il s’interroge sur “l’impact de l’argent”. Donner 470€ par mois à un jeune, c’est se rapprocher d’un “RSA déguisé” assure-t-il, dans le cas de non-accompagnement qui va avec. Donner une somme d’argent, “c’est une gestion de l’urgence, ce n’est pas ça la vie”. Pour lui la vie, “c’est une construction d’existence, des essais, des échecs”. Il ajoute “quelqu’un qui ne se projette pas, c’est quelqu’un qui ne vit pas”. Dans son parcours, il y a une thèse non-financée qu’il n’a pas soutenue, car “submergé”. “Il faut sortir de ce truc nauséabond”, s’est-il dit à l’époque. Plus tard, c’est une amie de la mission locale qui lui avait proposé de revenir en urgence, suite à un désistement. C’est ce rapport humain, encore une fois, qui structure son parcours.
Aujourd’hui, Karim pense à la suite de son parcours. “J’ai décidé de partir il y a quelques années déjà, j’aspire à trouver un emploi à l’étranger” explique-t-il, et concède, “mais je rame un peu, je n’y arrive pas”. Chaque année, il prévoit cinq semaines de voyage en Asie dont trois semaines de travail dans une association. L’Asie le fascine, “c’est passionnant, il y a une énergie, j’adore”. Qu’est-ce qui retient alors Karim Khadraoui à Grenoble ? Peut-être l’humain encore…