La France vue d’ici : le quotidien essentiel

Le livre « La France vue d’ici » compulse 50 reportages photographiques qui mettent en lumière ces anonymes, femmes et hommes, qui font la France d’aujourd’hui. Portraits croisés des réalités sociales contemporaines.


Un corpus photographique collaboratif

« La France vue d’ici » est un projet participatif porté par des photographes, des journalistes et des internautes. Médiapart et ImageSingulières voulaient créer un corpus photographique collaboratif sur la France, les hommes et les femmes qui l’habitent.
Après la sélection de 25 photographes, trois campagnes de crowdfunding ont permis la réalisation d’une cinquantaine de reportages entre 2014 et 2017 (Alzheimer, les bains-douches, les vacances, le travail à la chaîne, les pêcheurs bretons, Marseille, la jeunesse en banlieue…). Ces séries d’images (540 photographies au total rassemblées dans ce livre dont une partie est visible en accès libre sur le site web dédié) qui couvrent de nombreux territoires français, offrent une vision sensible des réalités sociales de notre pays.


L’humanité : entre failles et vivacité

Avec ce projet, Edwy Plenel, cofondateur et président de Médiapart, avait l’ambition de  » rendre présent ce que le flot continu d’images malmenées, formatées, abîmées, convenues, etc., ne cesse de rendre absent ”. Pari réussi pour ce magnifique ouvrage qui donne à voir « non plus l’événement spectaculaire, mais le quotidien essentiel ». La France vue d’ici, saisit des instants de vie, l’humanité – entre failles et vivacité – et réhabilite le photo-reportage comme média à la fois artistique, social et citoyen.


La diversité de regards

Si les regards des photographes diffèrent, l’ensemble des images touchent et leur empreinte reste.
On suit Patrice Serraz à la rencontre de jeunes en décrochage scolaire orientés, souvent malgré eux, en lycée professionnel des métiers du bâtiment. Le reportage intitulé « la mauvaise réputation » dresse le portrait de ces « jeunes bagarreurs ou affectueux, toujours prêts à faire une connerie drôle ou à pleurer ». On se souvient du sourire de ces deux gamins en bleu de travail faisant un morpion à la truelle dans une brouette de ciment.


De la gare Saint-Lazare au quai de l’oubli

On s’installe, avec Frédéric Stucin, sur le quai de la Gare Saint-Lazare qui rejette chaque jour 45 000 voyageurs anonymes, des individus en transit : une foule fatiguée aux visages fermés, des femmes pressées et des élégantes nonchalantes, des univers qui se croisent sans se voir.

Puis on atterrit au Zanzi-bar : Vladimir Vasilev nous ouvre la porte de ce bar de Sète dans l’Hérault, un lieu chaleureux saturé d’objets et de couleurs, des slips accrochés au plafond aux chapeaux amarrés aux filets de pêche, de soirées jazz en karaokés : ici, on cultive l’ éclectisme comme un remède à la morosité.

Toujours sur les pas de Vladimir Vasilev, on avance jusqu’à l’extrémité d’un quai oublié du Port de Sète où des caravanes usées hébergent des « marginaux ». On se rappellera ce couple assis sur un matelas usé, le sol aride et la voie de chemin de fer abandonnée.


Quand le temps s’arrête

Près de la mer, mais cette fois au nord, on suit Stéphane Lavoué et Catherine Le Gall dans les chantiers navals, les forges marines, les ateliers de marée… Des ports énigmatiques et des hangars poussiéreux, l’odeur du métal et de l’oubli, des portraits qui figent une posture : le temps s’est arrêté pour faire surgir de l’ombre les hommes et les femmes qui sont les rouages – à quai – de l’univers de la pêche.

Loin dans l’amer, Hervé Baudat nous emmène dans un service hospitalier « long séjour » spécialisé Alzheimer. Les patients sont très souvent assoupis, laissant la lassitude emplir corps et âme. Parfois, des éclats de regards percent le vide.


Un regard neuf

La vieillesse laisse place à la jeunesse des quartiers populaires, et le regard neuf d’ Hervé Lequeux et de Sébastien Deslandes qui montrent ces jeunes qui créent leur entreprise : « A un moment, tu tournes la tête à droite, à gauche, et tu n’as plus que ça à faire, créer ta boîte » explique Ahmadou Saitouli, entrepreneur dans le secteur de la fibre optique.

Au-delà des préjugés et des peurs, Bertrand Gaudillère et Catherine Monnet sont allés à la rencontre de citoyens ordinaires qui, de Paris à Calais, tendent la main aux réfugiés livrés à eux-mêmes. Des portraits qui donnent à voir la solidarité humble de ces anonymes qui dépasse le cadre habituel des structures d’entraide.

Sortir du cadre et des sentiers balisés, telle est l’aventure à laquelle nous convie « La France vue d’ici », le livre qui emprunte les chemins de traverse pour dresser le portrait pluriel de notre humanité.


20170331 lafrancevuedici2La France vue d’ici

Sophie Dufau / Gilles Favier / Christian Caujolle / Edwy Plenel / Laurent Davezies / Pierre Schoeller
Editions de la Martinière / ImageSingulières / Médiapart
336 pages
40 €