Mettre en relation peinture flamande et bande dessinée, c’est l’objectif ambitieux et réussi de « La Grimace du monde », la nouvelle exposition qui se tient dans les locaux de Glénat jusqu’au 24 avril.
Les monstres mous
De la grande porte du couvent Sainte-Cécile émerge un tentacule qui déborde sur la rue, et le ton est donné : Glénat a choisi de cultiver le monstrueux pour sa nouvelle exposition. Le monstrueux mais aussi le surnaturel, l’extase mystique, l’altérité érigée en symbole et la laideur érigée en beauté, ainsi que les Flamands de l’école Bosch ou Brugel s’y consacrèrent, ainsi qu’on la retrouve aussi dans la bande dessinée des vingtième et vingt-et-unième siècles.
Une exposition ambitieuse qui, au premier abord, peut laisser perplexe. S’il n’est pas question de nier la créativité, l’originalité et le talent sinon le génie des artistes de la bande dessinée, la mise en relation entre ces artistes et ceux qui les ont précédés cinq à six siècles plus tôt ne semble pas aller de soi. Le piège réside peut-être dans le fait que l’on se dirige naturellement vers la section gratuite de l’exposition, quand il faudrait sans doute commencer par sa partie payante (à hauteur de 6 euros) et commencer par le commencement : les maîtres flamands des seizième et dix-septième siècles.
Les Flamands noirs
Le visiteur pourra y admirer un échantillon de tableaux organisé autour de différents thèmes (« figures hybrides », « visions cosmiques », « lumières de l’au-dela »…) qui ne manqueront pas de fasciner par la puissance de leur propos autant que par la grande maîtrise qui s’en échappe. Qui connaît la peinture de Bosch sait combien l’évocation religieuse servira de prétexte à toutes les libertés graphiques, à tous les excès et les outrances, chez ce peintre qui allait plus tard inspirer les surréalistes.
Cette liberté, on la retrouve dans chaque tableau exposé au sein desquels, par exemple, l’épisode mythologique de la tentation de Saint-Antoine est l’occasion d’évoquer des créatures difformes et diaboliques où l’animal se mêle à l’humain dans une débauche parfois violente de détails grotesques, quand celui de la Tour de Babel permet aux maîtres de cette école de représenter une mystique de la grandiloquence et du lumineux, du poids du ciel sur la terre.
« La Destruction de la Tour de Babel » (Paolo Fiammingo,) compte d’ailleurs parmi les nombreuses merveilles que l’on pourra découvrir dans cette exposition, aux côtés d’une « Chevauchée fantastique » (Joos de Momper) ou d’un « Diable semant l’ivraie » (Jacob Grimmer), devant lesquelles il est difficile de ne pas rester en arrêt. Mais en réalité chaque œuvre exposée est une plongée dans un univers halluciné et captivant.
La case mate
Un univers que la partie gratuite de l’exposition propose de retrouver, autour des mêmes thématiques générales, au sein de la bande dessinée « moderne » comme plus « classique », ainsi qu’en témoigne cette planche originale de L’Oreille cassée dans laquelle des démons aux sourires joviaux emportent deux bandits noyés vers leur destination finale.
L’amateur comme l’amoureux du neuvième art découvrira ou retrouvera, par exemple, les noms de Muriel Blondeau, René Hausman, Gilles Chaillet, Bob de Moor, ou Olivier Rameau, parmi d’autres plus connus tels que Moebius, Philippe Druillet ou Enki Bilal. Une série de planches originales souvent magnifiques, où le talent de leurs auteurs autant que l’explosion des formes narratives ou graphiques que permet la bande-dessinée prennent toute leur dimension.
Clou de cette exposition, les quatre monstres inédits de Franquin raviront le visiteur, traits noirs et sardoniques d’un génie polymorphe torturé par ses idées fixes sans jamais parvenir à rien prendre au sérieux. Mais l’on admirera tout autant, parmi tant d’autres, des œuvres telles que la couverture de Lueur de nuit d’Olivier Boiscommun, ou le « Babel by night » d’Éric de Ville. Là encore, ce sont des univers qui nous happent, qui nous interprètent, et que le visiteur pourra retrouver dans le catalogue accompagnant l’exposition, extrêmement bien fait et très documenté.
Ambitieuse, exigeante mais très accessible, « La Grimace du monde » est une exposition qui motive la curiosité de son visiteur autant que son sens esthétique, qui le fait voyager dans des mondes intimes et cauchemardesques, où beauté et laideur se confondent. Une visite dont personne ne devrait juger bon de se passer.
« La Grimace du monde »
Du 24 février au 24 avril
Du mardi au samedi de 11 à 13h et de 13h30 à 19h
Couvent Sainte-Cécile, entrée au 37 rue Servan, Grenoble
Partie payante : 6 €