Après moult rebondissements et au terme d’un parcours qui a débuté l’été dernier, la loi de la ministre du logement Cécile Duflot, vient d’être définitivement adoptée par le Sénat jeudi 20 février. La loi porte le nom « Projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové » (et est dite en ce sens loi ALUR), et ambitionne principalement de combattre la crise du logement que caractérisent l’augmentation des prix et la pénurie de logements.
Les trois axes de la loi
Lors de la première présentation de loi en Conseil des ministres, en juin 2013, la ministre en distinguait trois axes principaux.
Le premier, un axe de « régulation » : rompre avec les postulats libéralistes pour recadrer, au niveau de la législation, le marché du logement. Il s’agit d’abord, à cet égard, d’encadrer les loyers, notamment dans les zones où une demande très forte a fait exploser les prix. Mais encadrer aussi les professionnels de l’immobilier, en s’assurant que les tarifications correspondent raisonnablement aux prestations fournies. Régulation écologique enfin : donner les moyens juridiques aux élus de geler les constructions immobiliaires dans les espaces naturels, pour favoriser les constructions en millieu urbain.
Le deuxième axe : apporter aux locataires et aux propriétaires une protection face aux dangers économiques qui peuvent les menacer. C’est à dire d’abord agir aussi bien pour prévenir les bailleurs qui risquent des impayés, que pour permettre aux personnes en difficulté de fournir une caution, de pouvoir tout de même accéder au logement, au moyen de la GUL (garantie universelle des loyers, qui protège donc pour une période de 18 mois les propriétaires qui n’ont pas perçu leurs loyers). Prévenir aussi les expulsions en gérant mieux les impayés. Protéger aussi les locataires contre les « marchands de sommeil », qui établissent des factures astronomiques pour de l’habitat indigne.
Le troisième axe enfin : lutter contre la pénurie de logements avec un objectif de construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux pour répondre aux besoins d’aujourd’hui.
Une loi amendée
De petits amendements ont été apportés à la loi : sur des questions de délais prévus par le texte de loi dans certains cas particuliers, ou sur les questions d’évaluation du prix du mètre carré, ou encore sur la fixation du loyer médian de référence, ou même encore sur des détails de procédure (on a maintenant le droit de procéder à la restitution des clefs par courrier). Mais on trouve aussi des amendements plus importants : par exemple l’introduction de la notion de décence dans la définition du logement meublé, ou encore l’intégration des résidences pour étudiants ou pour personnes agées dans le dispositif d’encadrement des loyers. Autre amendement important : la prescription d’une saisie automatique de la commission départementale de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX, créée par la loi), lorsqu’un ménage, ne bénéficiant plus de l’aide au logement (APL), risque l’expulsion. Cette saisie a valeur suspensive, en attente d’une solution. La loi amendée précise aussi la définition de la GUL et ses conditions d’application. Et quelques députés UMP ou UDI ont apporté des amendements sur des questions strictement contractuelles (règlement du contrat de location ou du fonctionnement des syndics).
Ce qui va changer
Au niveau de la régulation du marché, ce qui va changer c’est d’abord l’encadrement des loyers. Chaque préfet pourra fixer un loyer médian que les bailleurs ne pourront pas outrepasser. Et inversement, le texte instaure un loyer plancher infranchissable, c’est à dire un prix de location en dessous duquel on ne peut pas descendre.
Au niveau du second axe de la loi, qui porte essentiellement sur la législation des contrats bailleurs/locataires, la première nouveauté est la (très discutée) garantie universelle des loyers (GUL). Ce qui fut vivement débattu étant le financement de cette mesure visant à prévenir les difficultés relatives à la caution, Cécile Duflot a réussi à concevoir un financement public pour la GUL : elle est gratuite et publique, elle sera effective au 1er janvier 2016, tandis que la loi, sous sa forme définitive, permet tout de même aux propriétaires si il le souhaitent, de fonctionner avec le système de caution traditionnel.
Toujours au niveau du rapport bailleurs/locataires, la loi prévoit des modifications dont on devine qu’elles aient pu déplaire à certains : par exemple les frais d’agence seront désormais à la charge du propriétaire (sauf rédaction du bail, état des lieux, visite du logement et constitution du dossier dont les frais seront partagés avec le locataire). Au niveau legislatif encore, la loi ouvre la voie légale aux habitats participatifs, c’est à dire à des sociétés ou des coopératives qui permettent à des particuliers de construire ou d’acquérir, pour eux, des logements.
Concernant « l’habitat indigne », des mesures préventives seront prises : les marchands de sommeil déjà condamnés n’auront, sur une période de cinq ans, pas le droit d’acquérir des biens immobiliers destinés à la location. Et un propriétaire qui ne procéderait pas à la remise aux normes de salubrité des logements qu’il loue, quoique obligé par les pouvoirs public de le faire, paiera une astreinte de 1000 euros par jour de retard.
Une loi commentée et contestée
L’UMP vient de saisir le conseil constitutionnel contre la loi ALUR. Ils estiment qu’il y a violation, au niveau de l’encadrement des loyers, du droit de propriété, et affirment que la loi ne sert pas l’intérêt général. Les députés de droite regrettent aussi une absence de débat autour de l’élaboration de la loi, et notamment à propos de la mesure très controversée de la GUL. Ceux-ci regrettent que le locataire ait plus de droits, au niveau contractuel, que le propriétaire, et ciblent un défaut de « liberté contractuelle ». A gauche, au contraire, on se félicite des avancées de la loi. « Le prix des logements doit être adapté aux revenus des Français », commente Marie-Noëlle Lienemann (PS), dans Libération (du 20/02). Et chez les écologistes on est satisfait des mesures qui, dans la loi, concernent l’urbanisme.
L’une des avancée de cette loi est de cibler que le problème du logement ne se résume pas simplement à la construction de logements, et qu’il est illusoire de croire que la libération tout azimut des droits des propriétaires, en favorisant la dynamique du marché, favoriserait les prix par concurrence, car bien avant la loi Duflot, la « liberté contractuelle » existante a bien montré qu’elle était contemporaine d’une crise du logement. Et il était, plus que pertinent, nécessaire, d’attaquer de front le problème. Et seul quelques idéalistes peuvent croire qu’en donnant tous les droits aux propriétaires, le mal-logement disparaîtra. Il était temps de tempérer et de rationaliser le problème pour introduire de la décence et du bon sens dans cette sphère de notre économie.