Avant même l’entrée en vigueur des modifications du droit au séjour des étrangers malades, le 16 juin 2011 par la loi Besson, les associations pressentaient de graves impacts sur la santé des immigrés, et plus largement sur le respect des droits de l’homme en France. Deux ans plus tard, ces conséquences peuvent déjà être mesurées et analysées. Qu’en est-il donc du titre de séjour délivré pour des raisons médicales ? Comment la procédure se passe-t-elle en réalité ? Et quelle est l’influence des modifications sur la pratique des préfectures ?
Protection des droits de l’homme !
Depuis 1998, il existe une possibilité pour certains étrangers séjournant habituellement sur le territoire français d’obtenir un titre de séjour temporaire avec la mention « vie privée et familiale » pour des raisons médicales. L’étranger doit remplir les critères suivants : être atteint d’une (ou plusieurs) grave pathologie (la loi ne les précise pas, mais en pratique, il s’agit du SIDA, des hépatites, hernies…), être en impossibilité de se soigner dans son pays d’origine et/ou être en état de santé ne permettant pas de subir un voyage.
Il ne s’agit pas de motiver l’immigration pour des raisons médicales. En effet, seule la personne présente en France au moins depuis 1 an peut prétendre à ce titre de séjour. D’ailleurs, le nombre de demandes reste à peu près le même depuis 2008 (et a diminué même entre 2004 et 2007). L’esprit de la loi va plutôt dans le sens de la protection de la santé publique et de l’idée que l’ensemble des personnes habitant le territoire français doivent avoir droit aux soins. Plus généralement, on vise la préservation de la dignité humaine et la vie elle-même. Pour certains demandeurs, le retour dans le pays d’origine signifierait, faute du traitement approprié, une aggravation rapide de la maladie voire une fin précoce.
Soins présents mais non-accessibles…
La logique de la loi veut que le demandeur ne puisse pas se faire soigner dans son pays. Et c’est ici, que la loi introduit le plus grand changement : la notion des soins effectivement inaccessibles au malade est remplacée par l’absence du traitement dans le pays. En réalité, la présence du traitement, souvent fièrement proclamée par des autorités locales, ne signifie en aucun cas que le malade pourra s’en procurer et qu’il pourra bénéficier du suivi médical prévu. Le traitement peut être à la portée du public uniquement dans la capitale du pays et les hôpitaux peuvent aussi ne pas être approvisionnés. Par exemple, en Afrique subsaharienne, en 2010, uniquement 37% des séropositifs avaient accès au traitement VIH (chiffres OMS).
Permission d’expulser ?
La loi a été rapidement suivie de plusieurs textes précisant les termes du dispositif. L’instruction du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé du 10 novembre 2012 confirme que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de dire que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour les porteurs d’une infection par le VIH ». En ce qui concerne les hépatites, les conclusions ressemblent à celles pour le VIH : ni traitement médicamental ni suivi médical nécessaire et efficace « ne sont habituellement accessibles dans les pays de développement ».
Mais malgré ces précisions postérieures, la nouvelle formule de la loi permet aux autorités de conclure pour la majorité des graves maladies fréquentes que le traitement est théoriquement présent dans le pays d’origine et de motiver ainsi le refus du séjour.
De même, d’autres éléments de la loi manquent de précision. Personne ne sait définir « les conséquences d’exceptionnelle gravité » suite à l’absence de traitement. L’application dépend donc au cas par cas du jugement des médecins et du personnel des préfectures.
Aussi, la procédure administrative présente des grandes disparités entre les départements. Certaines préfectures demandent des pièces non prévues par la loi (par exemple un passeport), d’autres dépassent de beaucoup les délais du traitement de dossier, alors que l’état du malade nécessiterait une prise en charge immédiate. De surcroît, des manquements à la protection du secret médical ont été rapportés. Faute de précision, la loi laisse enfin une place prépondérante à l’appréciation des administrations. Ainsi la préfecture de la Loire-Atlantique répond positivement aux 98,7% des demandes déposées, la Meurthe-et-Moselle ne satisfait que 37 % des demandeurs du titre de séjour pour soins.
Économie sur les malades… à quel prix?
Les IGA (Inspections générales de l’administration) et celles des affaires sociales (IGAS) qui orientent les décisions du gouvernement en la matière, estiment dans leur rapport du 26 mars dernier que les modifications du dispositif de titres de séjour pour soins ont un « impact relativement limité ». « L’impact limité » signifie en réalité un recul de 18 % des premières délivrances de titres de séjour depuis le changement de la loi. Ceci représente tout de même des milliers de personnes qui restent en France souvent en situation d’extrême pauvreté et de précarité et sans possibilité de se soigner.
Mais les conséquences ne concernent pas uniquement les malades. Comme le prévoit le Conseil national sida (CNS) dans sa note valant avis sur la réforme du séjour pour raisons médicales, les refus du séjour entraineront obligatoirement des dépenses élevées à la caisse publique : si on commence à traiter les pathologies (plus) tard, les soins coûtent plus cher par la suite.
Aussi, les malades en illégalité n’ont pas accès à la couverture de santé générale ni à la CMU. Ils se tournent donc généralement vers l’AME (Aide médicale d’État destinée aux étrangers en situation irrégulière). Mais c’est une protection de santé basique permettant une prise en charge de qualité moyenne car imaginée comme temporaire. Si l’étranger n’a aucune couverture santé (le non-recours étant fréquent), les dépenses retomberont sur les hôpitaux qui n’ont pas droit de refuser les soins aux personnes dans le besoin.
Tout cela sans parler de danger pour la santé publique. L’adéquation et la continuité du traitement VIH sont nécessaires pour prévenir l’apparition des souches virales résistantes aux antivirotiques actuellement efficaces. En bref, le CNS suppose que vouloir faire des économies en empêchant l’accès aux soins des étrangers présents sur le territoire, entraînera des coûts bien supérieurs plus tard.
Le dispositif de titre de séjour exige donc un travail supplémentaire sur la transparence et la cohérence des pratiques sur le territoire (une remarque d’ailleurs valable pour l’ensemble de la politique d’immigration).
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, et Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, ont déjà promis d’engager « une nouvelle réflexion » sur la question.