L’évolution du nombre et des profils des sans-domicile sur le sol français est remarquable, ainsi que le fait remarquer le « portrait social » de la France que vient de publier l’INSEE.
Portrait au vitriol
Le « portrait social » 2014 de la France que dresse l’INSEE consiste en un dossier de près de 300 pages, se penchant avec l’oeil du statisticien sur les données concernant la situation sociale du pays, en terme d’emploi et de chômage, de revenus et de conditions de vie des personnes occupant le territoire français. Une somme et un travail conséquent autant qu’une mine d’informations, qui prend également le temps de consacrer des dossiers à certains sujets spécifiques, en commençant par celui des sans-domicile.
« Les sans-domicile sont une population plutôt mal connue car l’absence de logement constitue un obstacle pour les approcher », précise d’emblée l’étude qui explique que son enquête, réalisée en 2011 et 2012, s’est déroulée au sein des services d’hébergement ou de distribution de repas, dans les agglomérations d’au moins 20 000 habitants. La précision est importante, impliquant que les chiffres proposés par l’organisme d’étude statistique sont nécessairement incomplets. Ce qui ne signifie pas qu’ils ne sont pas fiables.
Le premier chiffre à retenir est évidemment le nombre de sans-domicile recensés. Ceux-ci, toujours dans les agglomérations d’au moins 20 000 habitants, seraient de 81 000. Tout en soulignant les différences de méthodes entre l’enquête menée en 2001 et celle menée en 2012, l’INSEE note toutefois que ce chiffre a augmenté de 44 % en l’espace de dix ans, et note une augmentation du nombre de sans-domicile de 84 % en région parisienne, contre 11 % pour le reste du territoire.
On notera toutefois une relative baisse du nombre de « sans abri », autrement dit les personnes ne bénéficiant d’absolument aucune solution de logement. Une baisse attribuée par les rédacteurs de l’étude à la mise en place de la loi DALO, qui ferait dans ce cas la démonstration de ses limites, voire de son inefficacité : le nombre de sans abri n’a en effet diminué que de 2 % sur ces dix dernières années.
Venus d’ailleurs
La proportion de sans-domicile nés à l’étranger reste importante, et parmi eux environ un tiers ne sont pas francophones. Les tableaux de l’INSEE indiquent par ailleurs qu’une forte proportion de ces personnes sont en couple avec des enfants, quand cette configuration familiale est bien plus modérée pour les étrangers francophones, voire minoritaire pour les personnes nées en France. Ce sont donc bien des familles entières qui fuient la misère de leur pays d’origine.
Les raisons qui ont mené les personnes à la précarité sont très différentes selon les situations. Ainsi, pour les sans-domicile nés en France, on constate que les problèmes familiaux arrivent largement en tête. Séparation des parents, décès de l’un d’entre eux ou conflits familiaux sont des circonstances récurrentes. Il n’en va pas de même pour les sans-domicile nés à l’étranger qui, encore une fois, sont avant tout confrontés à la pauvreté.
Il semblerait donc que les sans-domicile de nationalité française sont avant tout issus d’un délitement de la cellule familiale ou de l’absence d’accompagnement de celle-ci, quand les sans-domicile étrangers, encore une fois, viennent avant tout en France pour tenter d’échapper à la pauvreté. Plusieurs causes, mêmes effets.
Une nuit à l’hôtel
En terme de revenus, on observe que la plupart des sans-domicile vivent avec des sommes comprises, la fourchette est large, entre 300 et 900 euros, mais qu’un tiers d’entre eux perçoivent moins de 300 euros, quand ils ne sont pas simplement totalement dénués de revenus. Ce sont naturellement les étrangers, ne pouvant bénéficier automatiquement du RSA, qui sont les plus concernés par ce grand dénuement. Les clichés de réfugiés économiques vivant dans l’opulence aux frais du contribuable français, largement véhiculé par une certaine classe politique, trouve encore ici son plus sévère démenti.
Enfin, les conditions d’hébergement des sans-domicile posent naturellement question. On remarque que l’hôtel, loi DALO oblige, est encore une solution d’hébergement pour un grand nombre de familles, aussi onéreux et dénoncé par les associations soit-elle. Sans surprise, c’est dans l’agglomération parisienne que le recours à l’hôtel est le plus courant, et cela malgré les drames qui ont pu émailler l’actualité. Il est vrai que la forte proportion de sans-domicile gravitant autour de la capitale peut conduire à ce genre de solutions d’urgence, mais ces placements ne sont-ils pas révélateurs d’un manque cruel de concertation et de préparation ?
Qu’on le veuille ou non, l’INSEE démontre que les sans-domicile sont de plus en plus nombreux, qu’ils soient d’origine française ou étrangère. Tandis que certains discours politiques tendent de plus en plus vers la tentation de fermer des frontières déjà bien closes, la réalité sur le terrain se veut beaucoup plus pragmatique : de plus en plus de personnes, dont des familles avec des enfants sont en situation d’extrême précarité sur le sol français, et l’improvisation des pouvoirs publics, pourtant assujettis à une loi DALO datant de 2007, s’apparente à un déni aussi absurde que coupable.
Hélas, à moins que les décideurs politiques cessent de ne prendre en compte que les chiffres qui les arrangent, ou perdent l’habitude de chercher à casser le thermomètre, on peut craindre que cette étude ne sera pas considérée à sa juste valeur et que les enseignements qui pourraient en être tirés resteront soigneusement enfouis dans les tiroirs.