Futuropolis propose en français (et en allemand) de découvrir La Grande Guerre du dessinateur Joe Sacco, fresque dédiée au premier jouer de la bataille de la Somme, qui coûta à lui tout seul la vie à vingt mille soldats britanniques.
Moi mon colon, celle que je préfère…
Représenter la « Grande Guerre » en bande dessinée sans donner l’impression de traîner dans le sillage de Tardi, mission impossible ? Une chose est certaine : celui qui s’y aventure doit avoir quelque chose à proposer de neuf, dans la forme sinon dans le fond, ou les accusations de suivisme ne manqueront pas de pleuvoir. Et cela d’autant plus que nos rayons de librairie célèbrent à n’en plus finir le centenaire du déclenchement des hostilités.
Cette réflexion n’a pas échappé à Joe Sacco, qui hésitait d’autant plus à se lancer dans ce projet que le dessinateur a largement traité par le passé de la guerre : « Je venais de passer vingt ans à couvrir des zones telles que la Palestine et la Bosnie, et j’étais las de travailler sur les luttes armées et leurs conséquences » écrit-il dans sa préface. Pourtant, le besoin de revenir sur la Première Guerre Mondiale s’est imposée. L’occasion de « passer plusieurs mois à méditer sur son sens profond, si tant est qu’il existe », nous dit encore l’auteur.
Ce « sens » que propose Sacco à travers sa représentation heure par heure du premier jour de la bataille de la Somme, rejoint celui de la lecture : de gauche à droite, la bataille se prépare, la bataille se déroule, et tout se conclut au cimetière. S’inspirant de la célèbre Tapisserie de Bayeux, le dessinateur offre au lecteur une fresque longue d’environ sept mètres, qui peut se dérouler en intégralité ou se regarder segments par segments grâce à un ingénieux système de pagination.
Voyage au bout de la mort
Aucun texte, aucun son le long de ce dessin déroulant qui suit le destin de ces hommes, soldats britanniques en l’occurrence, lancés à l’assaut des positions allemandes dont la résistance avait été cruellement mal évoluées. Erreurs d’appréciation, manque de réalisme stratégique, méconnaissance des armement et trop-plein de confiance en soi transformeront ce qui s’annonçait une victoire facile en effroyable massacre.
À mesure que passent les heures, les explosions se précisent, elles qui ne composaient que de lointaines gerbes de fumées envahissent la page, laissant derrière elles des corps déchiquetés, des soldats tordus de douleur, au sein d’un chaos silencieux que l’oeil parcourt non sans une certaine fascination face à cet enfer sublimé. Le sens du détail de Joe Sacco frappe du début à la fin, et l’on reviendra souvent sur chaque planche pour ne cesser d’y voir quelque chose de nouveau, qui lui donne un nouvel éclairage, une autre manière de l’aborder. Et pour le coup, c’est à Bosch plus qu’à Tardi que l’on finira par penser.
La Grande Guerre n’est pas à proprement parler une bande dessinée, mais un objet graphique atypique et superbe. Superbe précisément parce qu’il ne se contente pas d’exploiter son seul caractère d’objet atypique. En suivant dans un silence opaque le déroulement d’une seule bataille, c’est une allégorie de la guerre qui se dessine sous nos yeux, de son absurdité concrète lorsque tout n’est plus que fumées et cadavres, colonies de fourmis humaines se vouant à leur perte.
S’il ne devait y avoir qu’un ouvrage, un livre, un objet consacré à la Première Guerre Mondiale qu’il conviendrait de posséder en cette année de centenaire, La Grande Guerre de Joe Sacco serait celui-ci.
La Grande Guerre
Joe Sacco
Éditions Futuropolis
86 pages, 25 €