« La violence des riches » est l’ouvrage de deux sociologues engagés très à gauche (à la gauche de « la gauche libérale », p.10), qui n’en sont pas à leur coup d’essai, et qui nous proposent un portrait de la situation économique en France aujourd’hui, pour le moins alarmant.
On est, au départ, un peu agacé par une espèce de « communisme people », qui, à longueur de pages frise le misérabilisme, quand les auteurs dépeignent des paysages de désolation qui feraient passer les usines désafectées des Ardennes pour le décor de Terminator 4, ou des tranches de vie qui n’auraient pas dépareillées dans le plus sombre des romans de Zola, le ridicule en plus. On peut lire, par exemple, non sans s’en amuser, p.65, le compte rendu d’une audience : « …la justice va traiter leur sort dans l’urgence, ce qui ne peut qu’ajouter au malaise, au désarroi douloureux que doivent ressentir ces jeunes, presque tous en tenue de banlieue pauvre, avec leur blousons à capuche et leurs pantalons risquant à tout instant de s’affaler sur leur basket. Dans une sorte de box faisant songer aux stalles du choeur des églises gothiques, ils font pâle figure, un gendarme immobile derrière chacun d’eux. Ils resteront debout pendant toute l’audience, livrés aux regards désolés, curieux, furieux ou compatissants des membres de leurs familles et d’un public plutot clairsemé. ». Tout l’ouvrage œuvre dans ce style et ce niveau là.
Et c’est tout le problème. Car en regard d’un texte comme « Le Capital », on aimerait moins de caricature et plus d’analyses. L’ouvrage se borne à décrire un pléthore d’exemples, d’histoires, d’anecdotes, qui certes sont édifiantes, attristantes voir même touchantes, mais on aspire, devant tous ces problèmes, – que l’ouvrage expose concrètement -, a des perspectives de solutions, on ressent le besoin de mieux comprendre, de mieux conceptualiser la problématique, sans se contenter d’être navré de la misère qui s’expose.
Du coup, au lieu de penser positivement un monde plus juste, l’analyse est essentiellement destructrice : L’Etat, l’économie, la justice, c’est tout notre système qui est visé. Ce qui fait que l’on se demande si l’analyse sociologique (les auteurs sont bien sociologues) est appropriée pour affronter le problème de l’exploitation économique. Parce qu’une fois l’état des lieux exécuté, la question reste : « que faire ? ». Et c’est ce que ne nous disent pas du tout les deux auteurs de ce livre.
Ce qui est intéressant, c’est l’actualité du livre et de ses analyses. Les poulets Doux, l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois, la gestion du gouvernement Ayrault de ces dossiers sensibles, le livre propose une analyse marxiste de tous ces problèmes, et a valeur dès lors de document sur une vision très à gauche de la situation politique et économique actuelle. Mais on aimerait qu’au lieu de mettre en évidence l’injustice, on pense concrètement à la manière de s’en sortir.
Ce qui n’est pas clair non plus, dans le discours tenu dans ce livre, c’est finalement la notion de droit. Une fois on nous dit que le droit républicain est un thème inventé pour et par l’intérêt des bourgeois, une autre fois on dénonce à longueur de pages, dans des formules souvent comiques, le non respect du droit des individus dans notre société aujourd’hui.
On aurait voulu quelque chose de porteur politiquement : des idées, des propositions, ou même des discussions éclairées sur les vrais problèmes de la pauvreté aujourd’hui, et au lieu de cela les auteurs se complaisent dans des descriptions qui n’en finissent pas de ne rien apporter du tout aux problèmes qu’ils dénoncent. En tout état de cause, un livre qui ne changera pas l’histoire.
« La violence des riches, critique d’une immense casse sociale »
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
Editions ZONES, 2013